A l’occasion de la sortie de son nouvel album « Love for Chet », une interview s’imposait avec le trompettiste Stéphane Belmondo. Alors que nous l’avions précédemment rencontré, entouré de son père Yvan et de son frère Lionel (Interview), c’est en solo que nous avons retrouvé Stéphane lors de son concert à Barcelone. Rendez-vous était pris au Guzzo, superbe établissement qui mêle art graphique, cuisine méditerranéenne, jazz et musiques du monde, sans oublier son incontournable « Basil Cocktail »… Le lieu idéal donc pour parler de belle(s) musique(s).
Stéphane, on te connaît comme trompettiste et bugliste. On te connaît moins comme batteur et accordéoniste. Quel a donc été ton parcours musical ?
Il y avait plein de disques chez mon père. A l’âge de 3-4 ans, j’ai commencé à écouter de la musique et je me souviens très bien avoir eu un flash pour la percussion. Je suis né en 67 et en 71, mon père a créé une école de musique à Solliès-Toucas – où d’ailleurs, Michel Petrucciani a enseigné – et j’ai commencé à bosser la batterie avec un monsieur qui s’appelle Edmond Tober qui doit avoir plus de 80 ans maintenant, et avec lequel j’ai eu l’occasion de jouer de temps en temps. C’était un super pédagogue. Au début, on travaillait les marches napoléoniennes au tambour et ensuite, il m’a montré des trucs sur des disques… A 8 ans, j’ai commencé l’accordéon parce que je ne voulais pas jouer de piano. Mon frère en faisait et ça lui cassait les bonbons. J’adore le piano mais je préférais l’accordéon. Mon père faisait beaucoup de bal à l’époque, il faisait du bandonéon. J’écoutais Gus Viseur, Marcel Azzola – avec qui j’ai eu l’honneur de jouer et d’enregistrer après – J’ai eu la chance de tomber sur un vieux pépé à l’époque, qui est de l’école de Médard Ferrero. Il venait du bal mais il commençait à s’intéresser 30 ans avant, à la musique classique donc j’ai travaillé les « Suites » de Bach, etc.
J’ai continué à jouer de la batterie parallèlement pour m’amuser, et à 10 ans, j’ai commencé la trompette. Puis entre 16 et 17 ans, je suis parti de mon Sud natal, parce que j’ai eu un engagement au Bilboquet à Paris. C’est là où j’ai commencé à apprendre le répertoire… et à partir de là, tout est allé très vite. Il y a un beau souvenir que je garderai à vie, qui est mon expérience avec Gil Evans et l’orchestre de Laurent Cugny. A l’époque, on a enregistré 3 albums et on a tourné pendant 2 ans avec lui. J’ai eu de la chance parce que j’étais simplement là au bon moment…
Lorsque l’on s’intéresse à ta discographie, on y retrouve des influences véritablement variées, avec entre autre des albums sous formes d’ « hommage » – Stevie Wonder, Donny Hathaway. Chet Baker maintenant -, d’exceptionnelles collaborations – Yusef Lateef, Milton Nascimento…- et toujours ces références à la musique classique. Comment expliques-tu cette diversité ?
Quand j’étais gamin, qu’il y avait les premières télés en noir et blanc. Il y avait 3 chaînes. Et je me souviens qu’en sortant de l’école le vendredi, je me pressais pour voir une émission sur les pays. Il y avait eu un long volet sur l’Afrique et il fallait que je sois là, devant ma télé, pour voir ce qu’il se passait ailleurs. Je crois que ça explique mon amour pour les musiques traditionnelles. J’ai toujours été comme ça, très curieux et ça continu ! Et je crois d’ailleurs que le premier long voyage que j’ai fait c’était en Afrique… puis j’ai découvert le Brésil, Cuba… Tout ce qui était « percussions » en fait. De fil en aiguilles, je me suis intéressé à la soul music parce que finalement tout est lié. Stevie, Donny Hathaway… finalement, c’est des petits mondes. Et c’est vrai qu’il y avait quelques vinyles qui traînaient, comme Earth, Wind & Fire, les Blood Sweet & Tears…
Et tu vois, le peu de musique que j’écoute aujourd’hui c’est de la musique traditionnelle. J’écoute plus de jazz du tout, mais j’écoute certaines choses de la musique classique. C’est vrai que la première fois que j’ai écouté Ravel, Debussy, Fauré, Boulanger, toute l’école française… ça m’a foutu en l’air !
Ton nouvel album « Love for Chet » est une déclaration à Chet Baker. Raconte-moi ta rencontre avec cet artiste…
En fait, il y a un batteur qui s’appellait Vincent Seno malheureusement décédé aujourd’hui, qui était un ami. C’était un peu le Art Blakey du Sud. Ce mec là était découvreur de talent, de Marseille à Nice. Il prenait des gamins comme moi à l’époque, donc quand j’ai rencontré Vincent, je devais avoir 14 ans. J’ai commencé à jouer avec lui dans diverses formations, avec des invités. Il accompagnait beaucoup de chanteurs et de chanteuses… En 86, je suis engagé deux mois au Privilège, c’est la salle qui était sous le Palace. Deux jours avant, ce fameux batteur Vincent est en tournée avec Chet et lors d’une journée off à Aix-en-Provence, il est parti dans un club qui s’appelait le Hot brass. A l’époque, on avait monté un big band avec mon frangin et Vincent, et il lui a fait écouter une cassette. Il paraît qu’il s’est installé dans un fauteuil pendant 1 heure, qu’il a fermé les yeux et lorsqu’il les a réouverts, il a dit « Il est où ce gamin, je veux le rencontrer ». Vincent lui a dit que je jouais à Paris. Le lendemain à Paris, au moment de la pause, le videur du club vient me chercher en me disant « Y’a un mec qui te demande, il est un peu curieux, il est mal habillé… ». Je monte avec lui, la porte s’ouvre et là, je vois Chet avec son chapeau, sa boîte de trompette, un petit sac, son pardessus, une écharpe et des sandales. Il lève la tête, il me dit « Tu es Stéphane ? »… « Oui, oui ». Moi, c’était mon idole. Mon héros… On descend, il me dit qu’il a faim et il s’installe à 2 mètres de la scène. Au bout de 2 morceaux, il a pris sa trompette et s’est avancé vers moi. Et il a fini le set qui a duré au moins 2 heures… Il s’était passé un truc énorme. Voir un gamin qui jouait vraiment à sa façon. On copie tous quand on est gamin… 3 jours après il jouait au New Morning, et c’est là, qu’il m’a invité. On a passé 3 jours ensemble. Il adorait manger Chet. Il adorait le bon vin aussi… J’ai fait 2 soirs au New Morning avec lui et c’est marrant parce que la soirée de sortie de l’album « Love for Chet » se fera au New Morning, aussi (le 6 mai 2015).
Bizarrement, ce mec là m’a toujours protégé de toutes les drogues, de tous les trucs qu’il ne fallait pas faire. C’était comme un deuxième papa, quoi… C’était mon papa spirituel. Et puis, il m’a invité à faire quelques concerts en Europe… C’était un mec hyper cultivé. On parlait de bateau, de voiture, de peinture… Il adorait ça. On parlait d’Histoire et on avait cette passion commune pour la découverte des pays.
Parmi tous les conseils que Chet Baker a pu te transmettre à travers cette relation privilégiée, quel serait celui qui t’a le plus marqué ?
D’être honnête avec la musique. Je précise bien « avec la musique », parce que dans la vie, il ne l’était pas. Il a eu plein de gamins, il les a abandonné. C’était un junkie, on le sait et quand tu es comme ça, tu ne peux pas réagir de la bonne façon. Mais quand tu discutais avec lui, il ne parlait que de ça… C’était pas un regret, mais c’était un truc très lourd pour lui… Par contre avec la musique, même s’il n’était pas en état de jouer, il essayer jusqu’au bout… « Etre honnête avec la musique », c’est déjà ne pas te mentir à toi. Avec le nom qu’il avait, il aurait pu se contenter de ne jouer que des sets de 20 ou 30 minutes. Au lieu de ça, il faisait des concerts de 3 heures… Quand je parle d’honnêteté, ça veut dire « ne pas tricher ». Etre à la hauteur des gens qui viennent et qui sont là pour t’écouter. Donner confiance aux gens avec lesquels tu joues, de laisser libre cours à leur histoire et à ce qu’ils peuvent t’apporter. Des fois, on prend des risques car on ne sait pas trop où l’on va, mais la plupart du temps, ça fonctionne !
Tu vois pour moi, Jesse Van Ruller, le guitariste du projet, c’est un petit génie. Je ne l’avais pas vu depuis plus de 20 ans. On s’était rencontré à Budapest lors de l’UER (Union Européenne de Radiodiffusion). J’avais 20 ans, il en avait 15 ou 16 ans. Il avait un talent incroyable déjà… On a passé 10 jours là-bas, on a fait des jam sessions et puis on s’est perdu de vue. Entre-temps, il a notamment remporté le prestigieux Prix Monk… Et on s’est recroisé il y a 2 ans au North Sea Jazz Festival quand je jouais avec Lee Konitz. Je pensais déjà monter un projet avec lui et « Love for Chet » s’est présenté. Quant à Thomas Bramerie, bon c’est pas parce que c’est mon pote d’enfance… mais Thomas, c’est un super musicien, j’adore ce mec là !
Présente donc moi plus en profondeur ce projet « Love for Chet ».
Ce projet est à l’initiative de Christophe Deghelt. Au départ, je ne voulais pas vraiment… et puis finalement, je me suis dit que c’était le moment, car il y avait une véritable histoire à raconter. Il fallait que je le fasse par rapport à tout ça. Christophe m’a soumis l’idée de faire un premier volet « trompette, guitare, contrebasse ». Un second « trompette, contrebasse, piano » et un dernier volet, première période de Chet dans le début des années 50, avec « trompette, sax. baryton, contrebasse, batterie ». Mais je ne vais pas le faire avec un sax. baryton, j’ai plutôt envie de le faire avec un tromboniste. Il est prévu un disque par an, mais je ne sais pas encore si on va aller jusqu’au bout. On va voir déjà comment ça se passe avec celui-là !
Ce premier album était un bon choix pour moi car habituellement je joue avec beaucoup de pianistes, et la formation « trompette, guitare, contrebasse » créée un son. Il y a un certain climat, assez intimiste. Le choix du répertoire par contre n’a pas été facile du tout. Du coup, j’ai posé la question à Jesse et à Thomas et je leur ai demandé une liste de standards que Chet jouait et qu’ils aimaient. On a donc choisit les morceaux ensemble et ajouté deux de mes titres.
Et pour finir, je tenais à parler de Philippe Gaillot, et de son studio dans lequel on a enregistré. Déjà parce que l’endroit est paradisiaque. C’est une ancienne grange qu’il a refaite. On peut dormir sur place. Et la cabine d’enregistrement est une plus des plus grande d’Europe. Il a du matériel incroyable et le son qui en sort en magnifique. Philippe qui est devenu un ami, est un super mec. Un vrai patient et passionné du son. On se sent bien là-bas !
Interview : Isabelle Pares
Copyright photo : Dani Alvarez
Une réflexion sur “Stéphane Belmondo, Interview”