Il y a de ces rendez-vous qui vous marquent à tout jamais, et la rencontre avec cette grande dame de la chanson cubaine l’a particulièrement été. Omara Portuondo, soliste et membre du Buena Vista Social Club, nous donne une belle leçon de vie, à travers sa joie de vivre, son rire communicatif et ses yeux pétillants de malice. Celle qui a consacré toute sa vie à la musique, poursuit toujours et encore sa carrière à travers le monde, du haut de ses 84 ans. Actuellement sur les routes pour la tournée « Adios Tour » du Buena Vista, nous l’avions rencontrée à l’Hotel Silken Diagonal de Barcelone, à l’occasion de son projet solo « Magia Negra, the beginning ». Emotion.
Omara, en 2008 sortait votre album « Gracias », célébrant vos 60 ans de carrière. En 2014, « Magia Negra » qui a été votre premier enregistrement en solo en 1958, a été réenregistré sous le nom « Magia Negra, the beginning ». Qu’est-ce que cela représente pour vous ? Serait-ce une façon subtile de dire que la boucle est bouclée ? Ou au contraire, de montrer que tout est un éternel recommencement ?
C’est précisément l’inverse. Je suis encore en condition pour continuer ma trajectoire artistique et musicale, et c est vraiment quelque chose d’important dans ma vie en tant qu’être humain. La musique pour moi est indispensable et j’en profite beaucoup. Un jour, mon fils Ariel Jimenez Portuondo est tombé par hasard sur ce vieux disque et m’a demandé : « Penses tu que nous devrions refaire cet album? » Je l’avais juste enregistré sans jamais travailler réellement dessus. J’ai pensé que c’était une idée formidable. J’ai donc dit : « L’idée est très bonne et nous allons produire de nouveau ce disque ! ». Ce projet, je le dois à mon fils. Nous l’avons travaillé, enregistré et il a plu, entre autres parce que perdure l’empreinte de ces musiciens qui avaient tellement foi en moi…Ils voulaient que ce soit moi qui le fasse, mais ce n’était pas le bon moment…Donc même si physiquement ils ne sont plus là, ils sont présents dans cette nouvelle version du disque « Magia Negra » parce qu’ils ont en quelque sorte sélectionné les oeuvres, auxquelles nous avons ajouté quelques éléments… Ils avaient tellement d’admiration pour moi, beaucoup de respect envers moi et moi envers eux. Ils étaient d’excellents musiciens. Il n’en reste plus qu’un seul de ce groupe, Daniel.
J’aimerais revenir à vos tous débuts au sein du Cuarteto Las D’Aida.
Bien ! C’était musicalement fantastique. A tout niveau, l’expression, tout… Nous étions un groupe très aimé du public car nous chantions, dansions et nous faisions beaucoup de télé. En plus les musiciens nous admiraient grâce à Aida qui faisait un travail musical extraordinaire, et pas seulement sur le répertoire populaire mais aussi ceux avec d’autres caractéristiques.
Les latins ont la réputation d’être des « machos ». Comment était accueilli un ensemble de belles femmes comme celui-ci ? Etait-ce plus difficile de s’imposer comme musicienne, en tant que femme ?
La musique n’a pas réellement de priorité pour les hommes ou pour les femmes. Tout est une question de mentalité, l’ambiance dans laquelle se développe la culture de chaque pays. A Cuba, il y a toujours eu des artistes avec beaucoup de mérite. Il y a d’ailleurs une chanson qui s’appelle « El Manisero » interprétée par Rita Montaner, une artiste de grand niveau, qui la chantait à cette époque. Là-bas, avec cette ambiance musicale, ça ne posait véritablement pas de problème d’être homme ou femme. « El Manisero » de Moises Simons, est la chanson créée par un cubain, la plus connue dans le monde entier. Rita voyageait à travers toute la planète pour représenter notre répertoire, en chantant des morceaux cubains.
Après le Cuarteto, il y a eu le fabuleux Buena Vista Social Club. Quels souvenirs retenez-vous de cette période ?
Il ne s’agit pas seulement de souvenirs puisque je fais encore partie du Buena Vista ! Je continue mon travail en solo et le Buena Vista en parallèle. Depuis le début, je chantais en soliste avec eux et puis ils m’ont demandé de les rejoindre car il manquait une femme.
Nous sommes toujours sur différents projets à la fois car ça fait partie de notre culture, de notre musique et il faut maintenir cela de sorte que ces répertoires ne meurent pas. Avec la musique, on atteint des endroits où d’autres ne peuvent arriver… Notre poète national Jose Marti écrivait d’ailleurs que : « La musique est l’âme des peuples ».
Vous dites de Cuba que c’est « un pays merveilleux où la musique est reine. Que vous avez été formée à la musique populaire mais également à la musique classique cubaine. » Quels en sont les musiciens emblématiques ?
Nous avons eu par exemple, Ernesto Lecuona qui chantait à propos des Indiens arrivés en premier à Cuba, mais que les Espagnols ont chassés. Puis il y a eu les Africains… C’est donc à ce sujet qu’ Ernesto Lecuona a écrit cette oeuvre classique « Siboney », même si elle est considérée comme très populaire. Cette chanson je la chante aussi.
Comment est-ce que la musique cubaine a évolué ?
Elle continue à se développer ! (rires) Evidemment, c’est comme tout ce qui se passe dans toutes les parties du monde en ce moment, partout les jeunes utilisent ce qu’ils appellent la musique « Rock ». Une musique avec de la batterie et tout. Les jeunes en général, se servent de la guitare, de la batterie, des percussions mais nous voyons aussi beaucoup de jeunes à Cuba travaillant la musique classique. La musique actuelle la plus populaire reste le « Rock », mais la musique traditionnelle perdure. Il y a beaucoup de musiciens lyriques, d’orchestres symphoniques…Tu dois aller à Cuba les connaître !
Je vous ai vu en concert et…
Tu étais au concert? Tu as vu les jeunes qui jouent avec moi? … Roberto Fonseca …Roberto a joué avec le Buena Vista Social Club. Il a occupé la place de pianiste et un jour il m’a dit : « Je serais très intéressé et j’adorerais travailler avec vous, j’aime votre travail ». Le moment arriva. C’est merveilleux ce qu’il fait avec la musique cubaine, en intégrant son travail au piano, à la percussion…C’est merveilleux !
Justement sur scène, vous jouez beaucoup du regard, du sourire, du déhanché et j’en déduis que vous êtes une « coquine » ! Alors entre nous et pour conclure, quel serait le conseil de séduction que vous pourriez nous transmettre, à nous les femmes ?
Un conseil de séduction..?
Elle ne sait pas qu’elle est née séductrice?…No?! (rires)
Tu le sais mieux que moi !…
Un conseil…? Fondamental, numéro 1 : être séductrice, être féminine. C’est la caractéristique de la femme, indépendamment de l’endroit où elle naît. Par exemple, généralement la femme cubaine est séductrice et on dit toujours que nous les Noirs, les Mulâtres nous sommes très séducteurs….
(Mais elle est séductrice, oui Monsieur ! Qu’elle demande à Robertico… (rires). Il va te répondre).
C’est une condition qui est naturelle, la nature même. Je suis née en tant qu’être humain mais, un arbuste qui commence à sortir est séducteur aussi. On dit « UNE plante » – féminin, et « UN arbre » – masculin. Le mâle… Par contre le « bois » c’est autre chose… Ouhhhh ! Il faut craindre le grand méchant loup lorsqu’on est un petit chaperon rouge ! Il faut avoir peur du loup féroce…Tu connais le conte?
http://www.buenavistasocialclub.com/
Toutes les photos de l’interview & du concert : Interview & Concert.
Isabelle Pares
Traducteur : Manuel Blanco
Photographe : Adrien H. Tillmann
Remerciements à Montuno Producciones & Harmonia Mundi
2 réflexions sur “Omara Portuondo (Buena Vista Social Club), Interview”
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