Chassol, c’est d’abord une rencontre, un soir pluvieux d’avril 2012. Alors que la plupart des parisiens sont rués devant leur poste de télévision en attendant les résultats du premier tour des élections présidentielles, le parcours de ce « génie des sons » attise tant ma curiosité que je décide de me rendre au Silencio pour le découvrir sur scène. Quelques mots échangés. Quelques notes ensuite… et l’envie d’en savoir plus sur l’univers de cet artiste hors-norme. Quelques années et quelques rendez-vous manqués plus tard, le moment est enfin venu de réaliser son interview à l’occasion de la sortie de son album « Big Sun »…Et c’est un Chassol, bonnet vissé sur la tête – prétextant un récent carnage capillaire ! – et tout juste réveillé, qui nous accueille dans son superbe appartement, le temps d’un café et d’un entretien passionnant.
Chassol, j’aimerais que l’on revienne sur tes débuts, ton parcours…
Paris, fin 70’. Je grandis en banlieue. Mon père est musicien, il est saxophoniste. Il m’apprend à travailler mon instrument, il me fait répéter. Je jouais dans ses groupes aussi, de jazz. Je fais des relevés pour lui, il nous apprend à bien bosser. Je suis au conservatoire en piano, en analyse, en chorale, en solfège. Je suis aussi à l’école, mais le conservatoire est tout aussi important. On va pas jouer dehors, on travaille le piano… mais c’est cool ! On écoute plein de musiques, « West Side Story », etc.
Vers mes 16 ans, j’ai fait une école de jazz en parallèle du conservatoire. Après le bac, j’ai fait des études de philosophie et je suis parti à la Berkeley, à Boston. J’ai aussi fait de l’orchestration, j’ai pris des cours de flûte. Je passe mon temps au « learning center » sur les ordinateurs que je commence pas mal à découvrir. Ou plutôt que je redécouvre… En fait, quand j’étais en sixième, mon père m’a ramené un Atari 1040 ST, avec Cubase, un autre programme qui s’appelait Amadeus et Pro24, aussi. C’était en 89, donc j’ai connu les ordis assez tôt mais à la fin du collège, j’ai arrêté de faire de la musique comme ça. C’est le moment où la techno est arrivée, j’ai plein d’amis qui en faisait mais il y avait un certain snobisme de la part des gens qui venaient des conservatoires, du jazz et j’étais un peu dans ce truc là. Donc j’ai arrêté de bosser sur les ordis et j’ai redécouvert ce procédé en 2000, lorsque j’ai eu un laptop. Et donc comme je te disais, quand j’étais à Berkeley, je passais mon temps au « learning center » et c’est là que j’ai vraiment développé le fait de travailler via l’ordi. Je faisais ça et puis j’allais dans le building pour les pianistes, en face, pour bosser mon piano que je ne bossais plus trop.
Ensuite, je suis parti habiter un peu à New-York et à L.A., c’était très cool comme période. Puis, je suis rentré à Paris. Depuis l’âge de 20 ans, je faisais de la musique à l’image, des musiques de pub et j’ai fait un an de tournée avec le groupe Phoenix.
Arrivent tes projets personnels « Nola Chérie » (Nouvelle-Orléans), « Indiamore » (Inde) et le nouveau « Big Sun » (Antilles) dans lesquels tu « harmonises le réel », en isolant des sons extraits de vidéos que tu tournes, et que tu retravailles, enrichis, sublimes.
En vidéo, on arrive à une époque où on peut manipuler le matériau comme on veut. J’ai grandi avec les VHS, et tu ne fais pas ce que tu veux avec une cassette. C’est pareil avec la musique. Aujourd’hui, on peut visualiser la musique avec les waveformes, cet oscilloscope audio. Moi j’ai grandi à une époque où on ne voyait pas ça. C’est pour ça que le laptop en 2000, ça a changé l’accès aux choses, l’accès à la manipulation, l’accès à « la facilité du lego ». Se dire « Tiens, je prends tel son de cette vidéo, et je fais de la musique avec ».
Tu as donc toujours un rapport au visuel même s’il s’agit de son ?
J’ai vraiment l’impression que c’est un truc de génération. On est une génération de l’image. Je suis né en 76, j’ai toujours regardé la télé, été au cinéma donc c’est assez logique pour moi… et ça l’est d’autant plus parce que je fais de la musique de film depuis assez longtemps maintenant, depuis que j’ai 20 ans. Et je regarde des films depuis que je suis tout petit. Donc j’écoute de la musique de film, j’en fais, j’ai les logiciels dans mon ordi… et c’est vraiment l’arrivée de Youtube qui a changé les choses, qui les a rendu très fluides et naturelles, finalement… Alors ok c’est une idée, mais finalement c’est pas grand chose : « J’ai du son qui est là, je le prends ». J’avais donc Youtube et mes logiciels de montage dans mon ordi. Tu as des documentalistes et c’est plus eux qui pour moi vont se rapprocher de ce travail, puisque ce travail là est directement lié à l’image.
Le procédé a été le même pour tes différents projets lors des voyage et des tournages ?
J’ai procédé de la même façon mais disons que l’expérience m’a permis d’aller plus vite, à plein d’endroits et notamment dans la conception de « l’après », à penser au live. Je pensais au live en allant filmer, ce que je ne faisais jamais avant. Donc j’ai fait la même chose mais ce gain de temps m’a permis de trouver d’autres chemins aussi, de nouveaux chemins.
… Pour moi tout est assez naturel dans la façon de chercher. J’entends toutes les influences, tout ce que j’ai joué, relevé, travaillé. Je le vois comme un livre ouvert, dans la musique. Je sais d’où vient chaque obsession, chaque petit truc.
Que veux-tu dire par « obsession » ?
Oui, ben tu sais ça vient de l’enfance. Quand tu grandis, tu définis ce que tu aimes. Tu le rencontres et tu le retiens parce que ça te plaît…
Tu penses donc qu’une obsession se réfère forcement à quelque chose qui nous a plu? Qu’on ne peut pas avoir d’obsession négative ?
C’est un état d’esprit… Je suis plutôt positif !
Comment naissent tes projets ? Tu décides d’une destination et tu te documentes avant de partir ?
Non. J’ai besoin d’une nécessité interne. C’est un désir, un truc qui m’appelle. Ce n’est pas la destination que je désire. Là, depuis longtemps j’avais envie d’harmoniser les oiseaux. J’avais envie de bosser sur la virtuosité des rappeurs. Ça aurait pu être fait aux Etats-Unis, ça aurait pu être un peu n’importe où.
Et à partir de ce désir donc, tu te projettes aux Antilles pour « Big Sun » ?
Au début, je voulais le faire au Brésil parce que « musique brésilienne », « compositeurs brésiliens », parce qu’il y a cette identité qui avale et recrache tout à sa sauce. Et ça m’a vachement fait penser aux Antilles. Les gens, les couleurs, l’archi, la musique qu’on entend… et donc m’est venue cette évidence que je n’avais pas vue avant, – les trucs que tu as devant toi, souvent, tu les vois très tard – l’évidence qu’il fallait que je m’intéresse à mon île. Et j’ai mis du temps à le réaliser.
Une fois sur place, tu as déjà une idée de ce que tu vas filmer et de qui tu vas rencontrer ?
Oui, c’est structuré, c’est charpenté. Là par exemple, je me suis posé la question : « Que veux-je dire ? ». J’avais envie de travailler, de me retrouver là-haut devant l’ordi et le clavier, et de trouver des accords, de nouvelles harmonies sur des images que j’aurais pu filmer aux Antilles ou ailleurs. Déjà j’avais envie de ça. De suites harmoniques hyper stylées à partager avec les gens ! (Chassol se met au piano). Tu vois, ça, cet enchainement d’accords, ça fait parti des obsessions. Il y avait plusieurs trucs que j’avais envie de bosser.
Donc je fais mon plan, et mon plan en l’occurrence c’était « Nature / Culture »… Bref, une vieille dissert’ de philo ! … Les oiseaux, la flûte… Les oiseaux c’est un classique. T’entends des oiseaux depuis que tu es petite. Ça chante, ça fait des mélodies dingues. Les surprises que te donnent les harmonisations de discours au niveau des intervalles, au niveau du type de mélodies que tu n’imaginerais pas, les oiseaux te donnent ça, puissance 1000… Et puis surtout, je mate du documentaire animalier depuis longtemps, j’adore ça ! …C’est un peu un truc de foncedés, tu sais les mecs qui rentrent hyper tard et qui fument en regardant des docs animaliers… C’est un peu tout ça qui se mélange.
Mais ce que je voulais, c’est filmer les Antilles pour montrer les Antilles autrement. Marre du zouk… Je voulais montrer la richesse musicale, culturelle. Je voulais filmer le carnaval parce que je ne l’avais jamais vu, là-bas. Je savais que quelque chose me manquait par rapport aux Antilles, que le carnaval était un moment transfiguré qui était important. Et j’avais des petites idées : Je voulais harmoniser des percussions. Ce que j’ai fait pour la séquence du carnaval. J’ai une parade qui fait cette rythmique (Chassol chante et tape un rythme sur la table) et j’ai enregistré la mélodie exacte, la plus proche possible du son des percussions. J’ai tout découpé, harmonisé et tenté de rendre une image objective, réelle, magique.
Quel est donc ton rapport au live par rapport à l’élaboration du film, du « documentaire musical » ? C’est une nécessité, une suite logique, un complément ?
Ecoute je me rends compte – et je ne le savais pas avant de filmer autant – qu’il y a une dimension qui m’échappe sur le live. Les gens me disent que c’est indispensable. Moi avant, je pensais que l’objet le plus important était l’objet fini, le film. Qu’on puisse le voir sur son Ipod, qu’on puisse l’embarquer. J’ai toujours préféré les albums studios aux albums live…
… mais du fait que tu reconnaisses que tu anticipes maintenant le live lors du tournage, cela prouve bien qu’il y a un impact. Au-délà du film, qu’est-ce que t’apporte donc ce live, en tant qu’artiste ?
C’est chiant parce qu’on m’a jamais posé cette question et je n’y ai jamais réfléchi ! Je sais qu’il y a quelque chose, mais que je ne mesure pas parce que je n’ai jamais vu mon live, en fait. Je n’en serai jamais le spectateur, mais je sens qu’il y a quelque chose du domaine de la retranscription. C’est à dire que j’explique aux gens, en jouant, quoi écouter ou comment entendre. Il y a une multitude d’éléments enregistrés sur la bande, et on joue par-dessus avec le batteur, Lawrence Clais. Voilà : « On est entrain de lire aux gens, le film à haute voix ».
On parlait de tes désirs, de tes obsessions, de ton rapport à l’image et au son. Quels sont les artistes qui t’inspirent ?
En musique classique, il y a un socle fondamental français et russe : Ravel, Debussy, Stravinsky, Prokofiev, Chostakovitch, Dutilleux. En musique de films ça va être Jerry Goldsmith, Ennio Morricone, Lalo Schifrin, Jerry Fielding… tous les papis. En jazz, c’est Chick Corea, Herbie Hancock, Miles Davis, John Mclaughlin… En musique minimaliste, Steve Reich, John Adams, Terry Riley… mais pas Philip Glass… et bien sûr dans un autre genre, un mec comme D’Angelo avec un album qui a influencé beaucoup de monde, l’album « Voodoo ».
Et en ce moment, qu’est-ce que tu écoutes en particulier ?
En ce moment, c’est ce qu’on écoutait tout à l’heure : Les Bombay Sisters, des chansons dévotionnelles indiennes, et sinon j’écoute beaucoup de chants de chorales hongroises, des morceaux de Kodaly, le pote de Bartók ! J’aime beaucoup ça.
Et ça n’est pas si anodin que tu parles de Bartók, parce que dans ton approche de la musique on retrouve une véritable dimension ethnomusicologique…
En fait, à la fin du film, le générique c’est une mélodie du « Concerto pour orchestre » de Bartók que j’ai reprise. Dans l’intermezzo, il y a une petite mélodie tonale (Chassol la joue au piano) et à la fin, il la tord. Et c’est marrant parce que je me disais « Mais qu’est-ce que fait cette mélodie chez Bartok ? »… – et en fait, j’ai lu plus tard que c’était un pastiche de Chostakovitch… pour se foutre de sa gueule ! – mais moi je l’aime bien, et c’est vrai que c’est une sorte d’hommage à Bartók, parce que c’est le premier ethnomusicologue… L’ethnomusicologie c’est rendre compte d’un endroit. C’est trouver l’essence d’un endroit, d’un lieu, de gens. C’est de la bonne matière. Moi, je veux juste de la matière pour faire de la musique… Mon but c’est juste de faire de la musique.
Interview : Isabelle Pares
Copyright Photos : Romain Saillet
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Une réflexion sur “Chassol, Interview”