Alors que son précédent album « Gouache » a rencontré un vif succès, Jacky Terrasson se produisait en showcase privé au Duc des Lombards (Paris) le 28 janvier dernier, afin de présenter quelques titres de son nouveau projet « Take this » lors de la soirée de renaissance du label Impulse. L’occasion de le retrouver quelques jours plus tard dans un superbe loft parisien, le temps d’une interview où nous avons parlé des choix artistiques de cet album, de champagne, de musique classique et de philosophie. Une belle manière de découvrir mieux encore son univers… et de vous faire gagner quelques exemplaires de ce nouvel opus qui sort le 23 février prochain !

Jacky, dans ton nouvel album « Take this », on trouve notamment des reprises de standards de jazz (« Blue in green », « Take Five »…), des Beatles (« Come Together »), d’Henri Salvador (« Maladie d’amour »), de Gotye (« Somebody that I used to know »)… Raconte-moi la genèse de cet album, sa construction.
Il y a 4 compositions originales. Pour le reste, je viens en studio à 55% préparé. J’estime qu’il est très important – surtout quand on est entouré de musiciens de grande qualité – de les laisser aussi apporter leur identité musicale, de les laisser suggérer des choses… Donc j’ai demandé sur place à Sly, quel autre titre il aimerait couvrir et c’est lui qui a suggéré « Come together ». A partir de là, j’ai trouvé un arrangement pour qu’on se l’approprie. C’est la même chose pour la deuxième version de « Take Five », qui n’était pas du tout prévue. J’avais demandé au bassiste quelque chose… Pour les originaux c’est assez préparé. Pour tout le reste, j’aime vraiment qu’on fasse de la musique, dans le studio, au moment de l’enregistrement. Après il y a des choses complètement imprévues. « Somebody that I used to know », c’est un titre que je voulais faire avec le groupe. Sans rentrer dans les détails, je venais de me faire plaquer et donc je pensais à ce titre… mais aussi parce que comme tout le monde, comme des millions d’autres personnes, j’ai un peu été sous l’emprise de ce truc très médiatique, très populaire, qui a fait un carton il y a deux étés. Là en l’occurrence, on devait le faire avec tout le groupe et on a complètement oublié. Le dernier soir, tous les musiciens étaient partis et j’en ai parlé à l’ingénieur du son qui m’a dit « T’as qu’à tout faire ! »… Donc je l’ai pris au mot et j’ai fait des re-recordings. J’ai d’abord fait les perçus, ensuite la basse, etc. et je me suis vraiment bien amusé !
Pour la reprise de Salvador, j’intègre toujours un thème français dans tous mes albums. Je trouve ça important de toujours inclure un titre du patrimoine français, puisque je suis français. Pour les standards de jazz, il y avait quelques suggestions de Jean-Philippe Allard, qui a produit le disque. Dès le début, il m’a dit qu’il aimerait que je fasse « Un poco loco ». Donc je lui ai dit « Ok, mais je ne le ferai pas en piano solo ». C’était hors de question. « Un poco loco » c’est une composition de Bud Powell qui a été mon maître, mon héros. Donc approcher des morceaux comme ça sans essayer de se les approprier pour moi c’est un danger. Tout de suite, on va comparer à la version originale. Je me suis donc dit que si je faisais le solo au Fender Rhodes, il n’y aurait plus de comparaison possible et comme ça, on le tient un peu le morceau.
Comment expliques-tu ce tournant entre ce nouvel album et le précédent « Gouache » ?
Je sais que « Gouache » a été bien reçu mais j’ai dit à Jean-Philippe (le producteur) que je ne voulais surtout pas faire quelque chose comme « Gouache »… Voix masculine, du coup. Moins lyrique, beaucoup moins lyrique puisque avec Sly, c’est surtout du beatbox bien qu’il chante super, aussi. Et puis une démarcation dans les couleurs, dans les rythmes. J’adore les percussions, mais là j’ai préféré des percussions plus africaines que latines, avec Adama qui arrivait de Bamako. Sur le précédent c’était l’argentin Minino Garay. Et en incluant le beatbox de Sly, j’étais quand même assez sûr, même si ce n’est pas le but premier, de donner une griffe un peu surprenante. Voilà… C’était très difficile mais j’aime bien sortir de mes sentiers battus. C’est un peu comme sauter du cinquième étage, en sachant que tu vas atterrir mais tu ne sais pas comment !
Tu viens de signer cet album à l’occasion de la renaissance du label Impulse. Qu’est-ce que ça représente pour toi d’être associé à ce label mythique ?
Je suis vraiment super content parce que comme tu dis, c’est un label mythique avec tous les disques de Coltrane que j’adore, et surtout la plus belle – à mon avis la plus sauvage – période de Keith Jarrett, qui est non seulement une influence pour moi mais aussi un de mes héros. Je trouve que les albums qu’il a fait avec Impulse sont extraordinaires. La musique des albums qu’il a fait après, est beaucoup plus polie. A l’époque d’Impulse, c’est cru, c’est à l’arrache, c’est frais, c’est musical, c’est sanglant, c’est… C’est tout ce que j’aime.
Dans un autre registre, tu es également très attiré par la musique classique française, début XXe. D’où te vient cet attrait ?
Oui, j’adore Poulenc, Ravel… ça vient du fait d’avoir étudié la musique classique quand j’étais gamin. Enfin, pendant 12 ans au conservatoire. Je me suis toujours intéressé à cette musique. J’adore Ravel vraiment. Debussy… C’est une musique qui me touche beaucoup par ses harmonies, par ses mélodies. Quand j’étais au lycée Lamartine, on nous faisait écouter plein de choses comme ça, et je suis tombé amoureux de ce style.
L’amateur de bon vin que tu es vient de conclure un partenariat avec la marque de champagne Krug. En quoi consiste un tel partenariat ?
C’est l’occasion de faire 7 concerts, un peu partout dans le monde. En Asie, en Europe et aux Etats-Unis. C’est un partenariat avec des gens qui travaillent très bien, qui sont un peu artistes aussi, qui ont une sorte de vocation. Je pense qu’il y a vraiment des parallèles dans leur travail et le mien. Vouloir faire bien, vouloir faire du bon. Pour moi c’est une forme d’art… Après, c’est aussi l’occasion d’aller à Hong-Kong pour la première fois.
…Et tu es également programmé à l’Olympia, en juin.
Ça va être la date de sortie parisienne de « Take this ». Il y aura tous les musiciens qui sont sur le disque, plus des invités dont Cécile McLorin Salvant, Stéphane Belmondo, Sly Johnson, Marcio Faraco… C’est un immense honneur de jouer dans cette salle. Ca m’est déjà arrivé, mais pas sous mon nom. Et là j’avoue que j’ai envie que ma maman voit les lettres « Jacky Terrasson & Friends » en néon rouge. Et mon papa aussi… C’est assez cool !!! Et ce concert aura lieu en partenariat avec la Fondation CARE, une association de solidarité internationale qui s’attaque aux causes profondes de la pauvreté…
Parmi tes coups de cœur, quels sont les artistes que tu pourrais nous recommander de découvrir ou redécouvrir ?
Evidemment j’adore Brad Meldhau, Wayne Shorter… Nikki De Saint-Phalle. Eric-Emmanuel Schmitt… et Charles Pépin, un philosophe. C’est quelqu’un qui donne des lectures de philosophie très intéressantes. Il a ce don de faire des conférences où il arrive à vulgariser, dans le vrai sens du terme, la philosophie… C’est tous les lundis, dans un cinéma vers Saint-Germain et je le recommande fortement.
Et sinon, il y a un album avec Keith Jarrett… Je ne sais pas ce qu’il s’est passé avec ce CD. Il a été enregistré il y a 25 ans, mais il est seulement sorti il y a 3 ans. Il s’appelle « Sleeper » et le premier titre de cet album est absolument incroyable.
Ton album sort le 23 février. Quels sont donc tes prochains projets ?
Là, je suis dans une période insupportable pour moi ! Celle où l’album est fini, masterisé. La période où il va sortir. Pour moi, c’est une période insupportable parce que je sais qu’il va falloir faire la tournée avec ce disque, et c’est vraiment bien, mais j’ai déjà envie de commencer à me projeter sur le prochain. Sauf que par esprit de fidélité, je ne veux pas encore y penser… et puis j’ai des projets d’écriture. Je ne sais pas encore où ça va aller, mais j’ai des projets d’écriture un peu plus appliqués que les choses très instinctives que j’ai pu faire jusqu’à présent. Peut-être un trio classique « piano, bass, drums », avec des voix, une chorale. Des notes très puissantes. ça c’est quelque chose qui me tient à cœur.
Un mot de conclusion ?
Je sais pas, je crois qu’on a fait le tour!… Il te plaît le vin ?

Copyright Photos : Franck Papadopoulos
Une réflexion sur “[CONCOURS] Jacky Terrasson, l’Interview”