Dresscode : Chevelure folle, tatouages, piercings, T-shirts punk et veste en cuir / Profession : Violoniste classique. « Premier prix » du Concours International de Violon de Hanovre en 2003, « Révélation internationale de l’année » aux Victoires de la Musique Classique 2005 puis « Soliste instrumental » en 2014, Nemanja Radulovic s’est déjà produit comme soliste avec les plus grands orchestres, dans le monde entier – De l’Orchestre Philharmonique de Radio France au Tokyo Symphony Orchestra, en passant par le Prague Chamber Orchestra, le Royal Philharmonic Orchestra of London, l’Orchestre Symphonique de Montréal – ainsi qu’avec Les Trilles du Diable et Double Sens, deux ensembles qu’il a fondé. De passage à Paris pour présenter son nouvel album « Carnets de voyage », nous avions rencontré à l’Hôtel de Sers, cet enfant terrible du violon, afin de parler de ses choix artistiques, des réseaux sociaux, de son look et de l’image de la musique classique.
Nemanja, qui es-tu ?
Je suis un violoniste qui voyage beaucoup. Je suis né en Serbie, il y a 29 ans. Ça fait 15 ans que j’habite en France et même si j’ai deux passeports, j’essaie d’oublier toutes les frontières entre les peuples. C’est ça qui est super intéressant dans ce métier. On peut couper les barrières, les frontières dans la vie quotidienne comme dans les genres musicaux.
Tu viens de sortir un album intitulé « Carnets de voyage », intimiste et introspectif, qui présente un florilège de morceaux choisis. Pourrais-tu nous le présenter ?
Ce projet reflète toute une partie de ma vie passée. Tout un voyage en Serbie, entre ma ville natale qui est Niš – il y a d’ailleurs le titre « Niška Banja » dans le disque – en passant par Belgrade, et tous ces pays qui ont connus la guerre, mais où il y avait toujours de l’amour entre tous les peuples. Ce qui était important pour moi, c’était de dédier cet album à mère qui n’est plus de ce monde, de pouvoir lui dédier les œuvres que j’ai découvertes avec elle. Et par la suite, d’y mêler les œuvres classiques, de les mettre ensemble. C’est très touchant parce que souvent dans d’autres genres musicaux, on peut dédier des œuvres à quelqu’un. Dans la musique classique, ça devient tout de suite quelque chose d’impersonnel parce que les œuvres sont très connues. Là, j’ai vraiment l’impression d’avoir vécu une histoire avec ma mère à travers ces musiques et puis avec ce voyage, de la Serbie jusqu’à la France.
Finalement, plus qu’un carnet de voyages, c’est un journal intime mis en musique ? Pourquoi le dévoiler maintenant ?
C’est un peu ça, oui… car il y a un côté classique, et un autre plus traditionnel. Quelques pièces ou musiques de films… Ce sont des films qui parlent souvent de la guerre, et c’est mon histoire. Ce que j’ai vécu en dehors de ma vie de musicien… Je retrouve tout cela dans l’album. Après, il y a peut-être des gens qui vont eux aussi trouver à travers les morceaux, quelque chose qui leur appartient.
Pourquoi faire cet hommage maintenant ? …J’ai vécu dans un pays où il y avait la guerre. Finalement, la guerre a commencé quand j’avais l’âge de cinq ans. Je l’ai acceptée, c’était ça mon enfance… Mais en plus de la musique, en plus de l’amour de toutes les personnes de ma famille, il y a aussi eu des histoires très personnelles, des pertes… Ma sœur et ma mère qui sont mortes à moins d’un an de différence… ça fait avancer d’une certaine manière. Pour ce qui est du choix artistique et comme pour les autres albums, il faut que je crois absolument au projet. C’était le cas, j’ai donc pensé que c’était le bon moment. Je ne sais pas si dans deux ans, ça l’aurait été…
Dans ton album, l’œuvre « Vatra suze » de Kalajic, pour violon seul, est une œuvre que tu as découverte sur Facebook ! Que penses-tu donc du rôle actuel des réseaux sociaux dans le développement de la carrière d’un musicien classique ?
Je pense que c’est important d’être en communication avec le public. Aujourd’hui, les réseaux sociaux permettent d’avoir une visibilité et de faire découvrir des artistes à un certain nombre de personnes qui n’irait pas forcement à la Salle Pleyel pour écouter un concert… parce que ça ne les intéresse pas ou parce qu’ils pensent qu’il faut encore s’habiller en costume pour y aller. Du coup, je pense que c’est vachement important de communiquer. Si on aime on clique, si on aime pas on zappe… Et on se rend compte qu’il se passe beaucoup de chose sur twitter, sur facebook… Il ne s’agit pas uniquement des réseaux sociaux, mais de toute sorte de médias. Je trouve que dans tous les autres genres, il y a une évolution par rapport à la présentation des artistes, du concert, du spectacle… et il y a des musiciens classiques qu’on ne voit encore presque jamais, ni à la télé, ni en radio sauf sur les radios spécialisées. Il n’y a pas ce mélange et c’est dommage, parce que je suis sûr qu’on aurait un public beaucoup plus jeune…!
Tu penses que ce clivage vient du choix, de la programmation des médias ou au contraire, du fait que certains artistes ne cherchent pas à évoluer et à se positionner différemment vis à vis de ces médias ?
Je pense que c’est les deux… En faisant le conservatoire, on apprend énormément de choses par rapport à la musique, mais on apprend pas le métier. On est complètement encadré et on ose pas faire les choses. Beaucoup d’artistes ont encore peur de s’amuser sur scène, de communiquer la joie, la passion pour laquelle ils font ce métier. C’est vraiment dommage parce que je me dis que notre rôle d’interprète, d’artiste, c’est de justement essayer de faire oublier aux gens, leurs soucis quotidiens… de leur apporter du bonheur.
On nous apprend donc à devenir musicien, mais pas véritablement un artiste ?
Pas souvent… Moi j’ai eu la chance d’avoir un professeur, Patrice Fontanarosa, qui est un homme d’une exceptionnelle gentillesse et générosité. D’une liberté qu’il a vraiment communiqué à tous ses élèves. Evidemment, on parlait de musique, on parlait de violon et on travaillait tout cela à travers le répertoire mais c’est aussi un violoniste qui est actif sur la scène. Du coup, c’était complètement différent de pouvoir apprendre comment s’approprier la scène, ce qu’il faut donner, comment gérer le stress, etc. Donc j’ai eu beaucoup de chance ! … mais je connais aussi d’autres professeurs qui ne sont pas forcément dans cette démarche là…
Tu parlais de ton professeur. Quels sont les autres artistes qui t’ont inspiré ?
En fait j’ai toujours été touché par les artistes, qui selon moi, changeaient le monde au moment où ils étaient sur la scène. Ça peut être des gens très connus, d’autres moins. Dans les « classiques », il y a Isaac Stern. J’avais toujours l’impression, même s’il jouait pour tout le monde, qu’il ne parlait qu’à moi avec son violon ! Chaque note qu’il faisait était comme un mot. Il y avait à chaque fois, une véritable histoire derrière. Il y a évidemment Patrice Fontanarosa, avec le bonheur et la générosité tellement présents chez lui qu’on se sent vraiment aimé pendant ses concerts. Martha Argerich… Après il y a la chanteuse de soul Whitney Houston, qui je trouve, avait quelque chose d’incroyable. On est tellement pris par son art, par sa voix, par tout son être, que parfois sur scène, j’avais l’impression que c’était elle qui faisait tourner la Terre !
On évoquait la place de l’artiste dans les médias et sur la scène. Tu cultives un look très « punk/rock », presque rebelle, aux antipodes des clichés dont souffre la musique classique. Est-ce que derrière ce look qui t’appartient et te définit, il y a aussi cette volonté de casser les codes ? De montrer qu’on peut être « rock’n roll » tout en étant un musicien classique de talent ?
Il n’y a pas une démarche particulière par rapport au look. Je me rappelle que même ado j’ai toujours voulu avoir des choses qui sortaient un peu du cadre… Il y a une époque où je portais aussi le costume sur la scène, parce qu’il fallait le faire. Tout le monde le faisait… mais je me sentais toujours un peu ridicule, comme un pingouin. Avec la veste, les épaulettes… Du coup, de trouver son propre look c’est important, parce que même si ce que je porte sur scène je ne le porte pas forcément tous les jours, ce sont des vêtements avec lesquels je me sens super à l’aise. Que ce soit rock ou pas, en tout cas c’est personnel. On est tellement mis à nu sur une scène, devant un public, que c’est important d’avoir quelques repères.
Que faire alors pour moderniser l’image de la musique classique ?
Je ne suis pas pour faire fuir les personnes âgées des salles de concerts, mais par contre, il faut ouvrir les portes aux jeunes. Aux enfants, aux ados. Je pense réellement que c’est un engagement à avoir en tant qu’artiste, c’est à nous de changer ça. C’est à nous de défendre la musique classique, qui est vieille dans le sens où elle est « installée » et aussi dans le sens où certaines œuvres ont été écrire il y a des siècles… mais il faut la faire évoluer, l’adapter à notre époque… Il y a de plus en plus de concerts pour les très jeunes, dans des écoles, dans des quartiers difficiles. Il y a des musiciens qui vont jouer à l’hôpital ou en prison. Nous par exemple, avec les « Trilles du Diable », on avait commencé à jouer dans des boîtes de nuit. Quand on avait un concert dans une grande salle, la veille on allait dans un pub ou un autre endroit insolite, pour jouer de la musique classique. Et ça marche ! Le groupe a maintenant 10 ans et on s’est rendu compte que 60% du public dans les salles sont des jeunes. On a vraiment de plus en plus de jeunes qui viennent nous écouter et ça nous fait vraiment plaisir. Il n’y a pas d’âge pour écouter la musique classique ! …ça n’est peut-être pas la musique la plus accessible à la première écoute, mais si on se laisse porter et si on fait confiance à la musique, ça finit par nous parler.
Interview : Isabelle Pares.
Copyright Photos : Hervé Dulongcourty.
Remerciements à Edouard Brane.
Une réflexion sur “Nemanja Radulovic, Interview”