C’est l’histoire d’une interview qui débute au Ronnie Scott’s Jazz Club de Londres, qui se poursuit dans un bar à Paris, et qui s’achève dans un appartement à Barcelone. Une interview itinérante donc, à l’image de la chanteuse capverdienne Mayra Andrade qui ne cesse de voyager à travers le monde, à travers les langues, à travers les mots. Plusieurs mois après l’avoir vue sur la scène de l’Alhambra lors du Festival des Voix, cette rencontre était donc l’occasion de revenir sur ses débuts, ses collaborations, son dernier album mais également de s’attarder sur le Cap Vert, d’évoquer le temps qui passe… et l’empreinte vocale qui reste.
Mayra, j’aimerais que tu nous racontes le premier contact que tu as eu avec la musique, et plus particulièrement avec le chant.
Je ne viens pas du tout d’une famille de musiciens ou d’artistes. Enfin, il y a quelques peintres par ci, par là, mais on n’est pas du tout dans la musique. Très jeune, j’ai manifesté mon penchant pour le chant. J’ai réclamé une guitare à 4 ans, je collectionnais un peu les instruments… La seule personne dans ma famille qui chantait et qui jouait de la guitare, c’est mon cousin germain, qui est aussi mon parrain. C’est étrange parce que ma mère l’a choisit pour être mon parrain alors qu’il n’avait que 14 ans, et je me dis que c’est vraiment le destin, parce que quand il a vu que déjà toute petite, j’avais ce penchant pour la musique, il a commencé à m’accompagner à la guitare, il m’apprenait des chansons… Mon rapport à la musique est donc très intuitif. Il l’a toujours été… C’est comme les coquelicots sauvages qui poussent au bord des rails !
Tu es née à Cuba et tu as grandi au Cap Vert. Pourquoi avoir décidé de t’installer à Paris ?
J’ai grandi au Cap Vert jusqu’à l’âge de 6 ans. Après je suis partie au Sénégal, en Angola et je suis revenue au Cap Vert. J’ai vécu en Allemagne aussi et je suis retournée au Cap Vert, 3 ans avant de venir à Paris.
Paris pour moi c’est un point de départ. Un « bon » point de départ. C’est une ville importante par rapport à la musique que je fais. Je parlais français depuis l’âge de 6 ans, j’avais ce rapport à la francophonie depuis mon enfance, c’était donc comme une évidence pour moi, de venir à Paris. Des villes cosmopolites il y en a plusieurs, mais l’équation à Paris est assez riche. Ça aurait été peut-être plus simple pour moi d’aller dans une ville comme Lisbonne, qui est également cosmopolite mais c’est très lusophone, et je savais que je voulais autre chose. Londres est très cosmopolite aussi, mais je ne suis pas anglophone. Je n’ai pas la culture anglosaxophone et c’est une culture qui encore aujourd’hui m’est étrangère, même si j’y apprécie beaucoup de choses et que je trouve que les anglais sont sympas et hyper polis ! J’ai d’ailleurs enregistré mon dernier album à Brighton.
A ce propos, cet album s’intitule « Lovely difficult ». « Lovely » Ok… mais pourquoi « Difficult » ?
C’est un surnom que me donnait mon ancien compagnon. Il y a des jours où il me disait « Oulala, aujourd’hui, tu es lovely difficult ! ». Pour lui, j’étais « lovely » mais je pense que des fois, il aurait eu envie de me jeter par la fenêtre ! Et puis, les anglais disent « lovely » à tout… c’est donc à la fois un clin d’œil à l’Angleterre où j’ai enregistré l’album et un clin d’œil à mon surnom…
L’album sonne résolument plus « pop »… D’où vient ce choix ?
C’est devenu un besoin artistique pour moi de me révéler dans autre chose. De me créer un défi. Je trouve que les murs de la « world music » sont assez épais et assez haut. On a un peu de mal à aller au delà, on se laisse enfermer très souvent… et du coup dans cet album, j’ai laissé place aux rencontres que j’ai vécues ici, en Europe. C’est un peu le reflet de mes 2 années à Paris. J’aurais trouvé étrange que cette expérience ne s’entende pas dans ma musique. J’ai été tellement perméable à d’autres cultures et d’autres influences. Pourquoi pas celle-là ?!
Il y est essentiellement question d’amour mais également de solitude. De folie même… Je pense à la chanson « Rosa »…
Oui. C’est une fille qui est désemparée. C’est une fille qui est seule et qui vit physiquement quelque chose de difficile. Une fille qui est perdue, qui est en dépression, qui devient folle. Qui est quelque chose que je ne connais pas vraiment puisque je n’ose pas aller vers elle, et qui un jour disparaît en mettant fin à ses jours. Et je raconte que je vis avec son regard… Rosa c’est un personnage que j’ai imaginé et qui en fait, est le mélange de 2 situations. C’est une façon de parler de cette peur que l’on a dans la société actuelle, d’aller vers l’autre… Tu vois que quelqu’un est en détresse, mais une sorte de pudeur s’est installée et on ose plus aller vers l’autre…
Tu as également un rapport très particulier au temps…
Je crois qu’il y a des paliers dans ta vie où tu as des sortes de révélation. Tu découvres des choses qui étaient déjà là, mais tu n’avais pas les outils pour les saisir. Tu es petit, tu grandis et tu découvres que tes parents vont mourir mais tu n’y crois pas vraiment. Tu sais que tu as encore tout à faire. Tu te sens invincible et un jour, tu te rends compte que l’on arrête pas le temps, que tout est périssable et que tout va disparaître. Il y a une très belle chanson de Chico Buarque, une chanson d’amour qui parle de deux amants. L’un dit à l’autre : « Un jour, des historiens, des archéologues nous découvriront ensemble… » .
C’est quelque chose que j’observe. Dans ce qu’il y a de beau et dans ce qui me dépasse. J’observe en essayant d’être assez sage pour ne pas me gâcher la vie avec ça. Je dis d’ailleurs également dans ma chanson que « Le temps guérit presque toutes les douleurs ». Et ce que je dis en concert, en introduction de cette chanson, c’est vraiment ce que je pense… Il y a des douleurs avec lesquelles tu as vraiment envie de vivre. Tu as envie qu’elles t’appartiennent parce que c’est un bout de ce que tu as vécu, c’est un bout de quelqu’un. Et puis un jour, tu te rends compte que la douleur n’est plus là, que tu as encore une petite marque, que tu t’en rappelles parce que tu n’es pas amnésique, mais tu n’as plus mal. Donc même ça, le temps nous le prend et c’est magnifique de ne pas avoir le contrôle sur ça… Je crains le siècle où l’on contrôlera le temps…
Et puis, il y a ce rapport à la voix. J’ai perdu beaucoup d’amis, chanteurs, musiciens. C’est fou parce que je réalise parfois que j’étais à l’enterrement de l’un entrain de parler avec l’autre, et que cet autre n’est plus là non plus… Après la mort de Césaria, tu te dis en l’écoutant : « Je l’entends respirer, j’entends qu’elle chante en souriant, ou qu’elle avait vraiment mal… ». J’ai quelques enregistrements non officiels d’ailleurs, où tu entends la personne rire et parler. Je trouve cela incroyable de me dire que cette personne est finalement « en vie » juste parce que j’entends encore le son de sa voix. On dit que le son voyage jusqu’aux confins de l’univers, comme ces étoiles que l’on voit mais qui n’existent plus. C’est la lumière qui nous arrive. De la même façon, il y a donc une certaine éternité dans le fait de chanter, de projeter un son, une mélodie. C’est aussi ce que je dis dans cette chanson : « Avant que tu ne m’emportes, laisse libre le son de ma voix. C’est ce qui va me faire vivre au delà du temps ».
Revenons au Cap Vert. Césaria Evora et toi y êtes incontournables, mais je serais curieuse de connaître quelques autres noms de la scène artistique locale.
Je pourrais te citer certains artistes qui font partie de la scène locale depuis longtemps et puis quelques artistes émergents : Rufino Almeida « Bau » instrumentiste, Jenifer Solidade, Ceuzany, Neuza, Michel Montrond… Il y a Zéca aussi, mais lui il est un peu à part car même s’il n’est pas très connu, il a quand même enregistré des albums qui sont sortis ici. Mais bon, il n’y a pas vraiment de marché au Cap Vert, il n’y a pas d’industrie musicale. Au niveau des concerts, c’est toujours des petits festivals par-ci, par–là. C’est pas évident… Il y a évidemment plein de groupes qui jouent mais qui ne sont pas nécessairement connus à travers tout le Cap Vert, ça reste très local. A chaque fois, on essaie d’ouvrir des portes un peu plus grandes… On a aussi besoin d’investir un peu plus dans l’enseignement de la musique, là-bas. Il n’y a pas de conservatoires, d’écoles de musique reconnus par l’Etat. On a besoin de former des musiciens à un niveau plus élevé, et de s’ouvrir à des musiques plus « contemporaines », parce que du coup, tu as toute la scène zouk qui est hyper développée mais après, tu vois qu’il y a des choses assez datées, dans le style, dans le son.
Sur scène, tu joues du ferro. Quels sont les autres instruments traditionnels capverdiens ?
Oui, je joue du ferro ou ferrinho. C’est plus précisément un instrument de l’intérieur de Santiago. Il s’utilise pour jouer sur le funana, un genre musical capverdien, qui est traditionnellement joué avec accordéon et ferro. Ensuite, dans les années 70-80, l’instrument a été utilisé avec des instruments électroniques.
Il y a la cimboa, qui est une espèce de violon préhistorique. Ça ressemble un peu à un petit berimbau, avec une corde et un archet en crins de cheval, mais je pense qu’il ne doit rester qu’un ou deux joueurs de cimboa…
Il y a le buzio, des coquillages qui sont joués dans la tabanka et différents tambours selon le folklore du Nord ou du Sud… mais notre culture est beaucoup basée sur la guitare, le cavaquinho.
J’ai également remarqué que tu évoquais tes origines capverdiennes à travers tes tenues de scène.
Oui, je les fais faire par différentes couturières que je rencontre au Cap Vert et avec l’aide de ma mère, également. Parfois, lorsqu’elle est en voyage au Sénégal ou ailleurs et qu’elle voit des tissus sur un marché, elle m’envoie des photos pour que je choisisse. Et quand je retourne au Cap Vert, on va chez un couturier et on décide des modèles… Avant je portais beaucoup de longues robes pour mes premiers albums, et j’ai ressenti le besoin d’être un peu plus en accord sur scène, avec ce que je suis au quotidien. C’est pour cela que j’ai voulu avoir des modèles occidentaux, avec des éléments africains. Je ne sais donc pas si c’est un hommage, mais en tout les cas, c’est une affirmation.
Quels ont été les moments les plus forts de ta carrière, à ce jour ?
Ma rencontre avec Caetano (Veloso). Le fait d’avoir pu partager des moments de musique qui m’ont marqués. J’ai tellement voulu ça toute ma vie… et puis un jour, tu te retrouves chez lui entrain de jouer.
J’ai également participé à un hommage à Dominguinhos, un accordéoniste brésilien, décédé il y a quelques mois et j’ai eu la chance de pouvoir lui rendre hommage à travers un documentaire. Ma rencontre avec lui était très très émouvante car il avait un cancer généralisé, et on a joué pour lui au studio avec Yamandu Costa et Hamilton de Holanda, alors qu’il revenait d’une séance de chimio. C’était extrêmement marquant.
Enfin, chanter avec Césaria (Evora) a été véritablement important pour moi, émotionnellement.
Pour conclure, quels conseils donnerais-tu aux artistes en devenir ?
De ne pas perdre trop de temps à trouver leur véritable voix… (et leur voie). Au début, on arrive avec tout ce que l’on a accumulé. On a plein de références mais on a vraiment besoin de la scène… Je leur conseille de chercher dans leur quartier, dans des salles municipales, dans des clubs, l’occasion de jouer et de s’enregistrer. J’ai énormément appris en écoutant ce que je faisais. Je détestais ce que j’écoutais, mais ça m’a vraiment aidé à me défaire de tout un tas de choses que je trouvais géniales mais qui en fait ne l’étaient pas… pour au final, arriver à une voix qui t’appartient vraiment. Ça ne veut pas dire que l’on est pas influencé, puisque l’on est le produit de plein de choses. C’est normal d’être influencé. Ce qui ne l’est pas, c’est d’essayer de trop copier quelqu’un qui n’est pas toi… L’authenticité… Ne pas avoir peur de la différence.
Isabelle Pares
Copyright Photos : Alyce Green
Elle est juste suave!
J’ai aimé la jeune artiste talentueuse arrivée à Paris,charmante, intelligente et attentive et déterminée. Je suis ravi de retrouver la belle personne,plus affirmée,façonnée par des heures de travail, des rencontres inouïes et une insatiable ouverture aux gens, au monde surprenant et mystérieux qui est le nôtre. 👏 bravo à l’artiste avec un grand A que tu es, la belle personne avec un grand P que tu es aussi. Fier d’être Capverdien, en t’observant évoluer !Bravo