Ibrahim Maalouf, Interview

Ibrahim Maalouf
Rencontre de deux stars : Ibrahim Maalouf & Métro-Le-Chat

On ne présente plus le trompettiste Ibrahim Maalouf… Alors que ses concerts affichent pour la plupart « complet » (Olympia, Festival Jazz des 5 continents,…) le multi-récompensé aux Victoires de(s) Musique(s) ne cesse de multiplier les projets musicaux. Connu pour ses créations aux sonorités orientales et modernes, on sait peut-être moins que cet instrumentiste fut lauréat de prestigieux concours internationaux en musique classique. Le rencontrer pour qu’il nous présente son double parcours et son actualité était devenu une évidence… mais c’était sans compter son emploi du temps plus que chargé. De retour de festival, c’est donc finalement à domicile, un peu avant minuit, que nous avons accueilli le très bavard Ibrahim… L’occasion de prendre le temps de parler de son album « Illusions », de l’enseignement qu’il a reçu de son père et de celui qu’il transmet, de ses nombreux projets.

Parlons de ton album « Illusions »… Illusions de qui, de quoi ? Par qui, par quoi ? Pour qui, pour quoi ?

Tout… Sur le livret de l’album, j’ai écrit tout un texte. J’ai même écrit quasiment une page par titre, pour tout expliquer mais globalement, je pense qu’on vit dans un monde qui est malade. On le sait tous. Le contexte dans lequel on évolue et on élève nos enfants, c’est un contexte assez grave. Je vois les choses de manière très cynique… et en même temps, comme je suis quelqu’un de fondamentalement heureux, j’analyse tout cela évidemment de manière cynique mais j’essaie d’en tirer quelque chose qui me ressemble et qui est très positif. Le constat étant ce qu’il est, je le prends et j’essaie de le détourner, pour arriver à quelque chose qui va être plus proche de ma vision idéale du monde. « Les tomates sont toutes rouges mais elles n’ont pas de goût, et tu les achètes quand même. Les roses sont toutes belles mais elles ne sentent plus rien, et tu t’en fous. Tu sais qu’on ne te balance que 2% de l’actualité aux infos, mais tu les regardes quand même »… J’essaie donc de faire un compromis entre cette réalité et quelque chose qui me correspond mieux. Une sorte de tour de magie, d’illusion que je mets en scène avec ma musique. L’album commence avec un air très triste, limite funèbre et plus ça va, plus ça évolue vers quelque chose de festif, de plus léger.

Tu disais de ton troisième album que c’était un bilan. Que tu commençais à construire ta vie d’homme et ta vie de musicien… Où en est donc ta vie d’homme et de musicien suite à la sortie de ton cinquième album « Illusion » ?

En tant qu’homme, ma vie est plutôt chaotique, mais il paraît que c’est ça la vie… donc tant mieux. Je pense que quand tu veux faire les choses bien, artistiquement, ça prend beaucoup de place. Et quand tu ne veux pas faire de compromis par rapport à l’artistique, c’est tout le reste qui en pâtit… En tant que musicien, j’ai l’impression de m’épanouir vraiment, de ne rien m’interdire. C’est assez chouette quand il s’agit de choses artistiques, de sentir que la porte est ouverte tout le temps. Que tu n’as plus ces limites que l’on s’impose – et qui ne servent à rien d’ailleurs – quand on est plus jeune. J’ai l’impression d’avoir définitivement abattu toutes ces cloisons, toutes ces limites qui pouvaient exister précédemment.

Tu avouais également dans une autre interview que jusqu’à l’âge de vingt ans, tu faisais de la trompette dans le but de te rapprocher de ton père – le trompettiste Nassim Maalouf -, de lui plaire. Qu’est-ce qui fait qu’après vingt ans tu as changé d’état d’esprit ?

Lui plaire… et le dépasser ! Il m’a vraiment élevé dans l’idée de compétition. Quand j’ai terminé mes concours, en 2003, j’ai tiré un trait définitif sur tout ce qui ne m’irait plus, musicalement. J’ai même posé la trompette, j’avais décidé d’arrêter… et j’ai commencé à rencontrer des gens – comme Vincent Segal, Matthieu Chedid, etc – qui m’encourageaient à aller dans une direction qui était celle qui m’allait le mieux, mais que je n’exploitais pas, par peur, par timidité, par manque de confiance. Il y a eu notamment la rencontre magique avec Lhasa de Sela. C’est une femme qui m’a bouleversé, c’était une personne assez rare en son genre. Elle était très très puissante, mais dans une manière de vivre extrêmement calme et zen. Et sa musique, elle l’exprimait exactement de la même façon. Ça m’a beaucoup plu. Elle m’a beaucoup soutenu et m’a d’ailleurs donné une place en or dans son deuxième album, qui a été le déclencheur de tout ce que j’ai fait après.

Qu’as tu retenu donc de l’héritage musical de ton papa et de ton cursus au conservatoire ?

La rigueur. Même aujourd’hui, la rigueur que je m’impose c’est celle que j’ai apprise pendant ces années là et qui je pense, est nécessaire. Cette forme de sérieux dans le travail, cette manière de se structurer au quotidien, les fondements. Je suis un grand fan de musique classique, j’adore en écouter et j’en joue encore beaucoup. Je compose dans cette esthétique là, aussi… Je peux comprendre parfois que la musique classique ait du mal à communiquer avec le grand public, hormis au cinéma. Par contre, il y a un truc qu’on ne peut pas enlever à la musique classique, c’est la formation que ça représente. La culture, le vocabulaire… Il ne suffit pas d’avoir des choses à dire. Il faut encore savoir comment les dire. Dans mon cas, comme j’ai plein de choses à dire et que j’ai eu la chance de recevoir cette formation là, du coup, je sais comment les structurer pour avancer.

Tu enseignes à ton tour, également. En quoi est-ce important pour toi de transmettre ?

Je viens d’une famille de profs, de musiciens qui enseignent. A 17 ans, je gagnais mon « argent de poche », je payais mon loyer en donnant des cours privés, puis j’ai eu la chance d’enseigner quelques heures dans un conservatoire grâce à mon père. Je me suis un peu rôdé et j’ai continué à enseigner dans des conservatoires un peu plus prestigieux, où j’ai fait mes preuves. Ça va donc faire la moitié de ma vie que j’enseigne. J’adore ça… Je trouverais bizarre de se revendiquer « artiste » et de ne pas participer à la transmission des connaissances. Après tout ce qu’on m’a donné, je trouverais gonflé de tout garder pour moi. A une époque où je n’avais plus trop de temps à consacrer à l’enseignement, j’ai du faire un choix. Soit j’arrêtais de donner des cours mais ça me faisait mal au cœur, soit je sélectionnais ce qui me tenait vraiment à cœur… C’est ce que j’ai fait. J’ai monté un dossier et je suis allé au Conservatoire à Rayonnement Régional – Pôle Supérieur d’enseignement Paris / Boulogne, en leur proposant de donner des cours d’improvisation aux élèves de musique classique, qui n’ont pas accès à l’improvisation. Comme en plus il y a peu de chance qu’ils trouvent du travail uniquement dans le classique, que ce soit en orchestre ou en musique de chambre, je pense que c’est indispensable qu’ils sachent faire autre chose de leur instrument, qu’ils apprennent à sortir de leurs partitions.

Il y a des initiatives ponctuelles ici et là, mais je trouve, qu’il y a une vision encore tellement rétrograde de l’enseignement de la musique classique en France, ça me rend fou ! Je ne comprends pas qu’on trouve encore normal qu’un musicien qui a fait 25, 30 ans de musique, qui est à l’Opéra de Paris ou ailleurs, soit incapable de jouer si tu lui dis : « Ce passage est en telle tonalité, ça tourne en boucle pendant 2 minutes… fais ce que tu as envie de jouer », mais c’est pas possible parce qu’il n’a pas de partitions… c’est dingue ! C’est contraire même à l’esprit de la musique classique qu’on a affublée de règles et d’interdictions, alors qu’à l’époque baroque, les musiciens improvisaient notamment pendant leurs cadences. Ça contribuait à faire des musiciens de vrais interprètes au-delà de la partition… Il y a forcement encore des gens qui ont des choses à dire !

Ibrahim Maalouf

Tu joues de la trompette quart de ton, dont l’inventeur n’est autre que ton papa. Pourrais-tu m’en expliquer le principe ?

En fait, c’est comme si sur la flûte traversière, il y avait une clé, une touche en plus. C’est tout. C’est une autre technique, mais ça ne vient pas uniquement de l’instrument, ça vient plutôt de la manière de le jouer. Même si je prends une trompette « normale », je peux faire ce que je fais. Le quatrième piston par contre, facilite l’accès aux gammes arabes. Si je n’ai pas ce piston là, je suis limité. Ensuite, c’est surtout la manière de souffler qui est très différente. Mon père a complètement inventé cette technique, qui vient de l’héritage de la tradition orale du chant arabe.

Parallèlement à ce répertoire, tu écris et collabores avec plusieurs orchestres symphoniques classiques ?

Oui. J’adore la formation orchestrale. J’ai beaucoup joué en orchestre, au pupitre ou en soliste… C’est passionnant. La richesse des timbres, de tout ce qu’on peut en faire. Culturellement, j’ai baigné dans les symphonies de Mahler, Bruckner, Wagner, Holst… C’est un territoire que je connais beaucoup et que je maîtrise assez bien, donc quand j’écris pour orchestre, il y a beaucoup de choses que j’ai envie d’exploiter.

Pour finir, en plus de tout ce que l’on a évoqué précédemment, s’ajoute une création au Festival Ile-de-France, la réalisation du dernier album de Grand Corps Malade, la composition de plusieurs musiques de films (dont celle de « Yves Saint Laurent ») et le « Projet » avec la Maîtrise de Radio France. Tu es absolument partout ! … Et tu reprends donc « Alice aux pays des merveilles » en février 2015 ?

Oui ! C’est un opéra hip hop, qu’on a créé avec Oxmo Puccino. Il a écrit un texte sublime. Ce mec est un pur génie… Je suis un grand fan et j’admire énormément ce gars là. On va reprendre ce projet et le jouer sur scène en 2015.

 Interview : Isabelle Pares

Copyright Photos : Laure Giacobbi

 http://www.ibrahimmaalouf.com/

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