Ludivine, pour la plupart d’entre nous, on t’a découverte en tant que flûtiste aux côtés de Wax Tailor mais pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore, peux-tu nous présenter ton parcours musical?
J’ai pratiqué la danse classique dès mes 5 ans, avant de commencer la musique chez un prof particulier qui enseignait le saxophone et la flûte (jazz). Je suis ensuite rentrée au conservatoire et j’ai suivi les deux cursus : classique et jazz. J’ai joué très tôt dans différentes formations (Big Band , fanfare de rue, tentet, quartet, etc…). Après avoir eu une sorte de révélation en écoutant « Gambit » de Julien Lourau, j’ai monté ma première formation en Normandie qui s’appelait « H-Nod« . Nous jouions des reprises groovy du répertoire français mais aussi du label anglais Ninja Tune comme par exemple Herbaliser ou encore Cinematic Orchestra.
Tout en continuant mes études au C.R.R. de Cergy Pontoise, j’ai intégré l’Orchestre de Flûtes Français dirigé par Pierre-Yves Artaud pendant 2 ans, période pendant laquelle j’ai vraiment pu approfondir ma pratique de la flûte contemporaine et celle de la flûte alto et basse. En parallèle, je pratiquais la musique improvisée avec les différents musiciens de la riche scène normande (album : » Urban Bush » avec La Grande Perezade/label Nocturn), mais j’allais aussi assouvir mon besoin de groove dans des jams parisiennes et j’ai donc rencontré des musiciens auprès desquels j’ai beaucoup appris.
En décembre 2007, Wax Tailor a fait appel à moi. Je pars donc en tournée internationale à partir de 2008 et une grande aventure commence. J’apprends énormément de choses, que l’on apprend ni au conservatoire, ni dans les jams… Les gens avec lesquels je travaille m’enrichissent énormément, je découvre le travail notamment auprès des MC’s , qui ont en fait un rapport très étroit avec le jazz, je me familiarise aussi avec les samples, l’approche de la musique des DJs et des producteurs, du hip-hop… Je rencontre aussi les MCs d’ASM avec lesquels je pars en tournée. Puis en 2009, je rencontre Dj Click et j’intègre le groupe électro-jazz UHT avec lequel nous sortons l’album » H20 » en 2010 .
Aujourd’hui, mon groupe Antiloops est un peu né de toutes ses riches expériences que j’ai vécues pendant ces 10 dernières années. J’ai écrit les premiers morceaux d’Antiloops en 2012, et c’est en 2013 que le projet a vu le jour avec un premier concert au New Morning. Nous avons ensuite sorti un EP, remporté les Trophées du Sunside en septembre dernier, nous nous produisons régulièrement et sommes actuellement en finition de notre 1er album qui devrait sortir avant la fin 2014.

Lorsque l’on connait peu le champ des possibles de la flûte, on l’associe inévitablement au répertoire classique, alors qu’elle est présente dans biens des domaines différents… Comment expliques-tu que cet instrument soit encore autant « catalogué »?
C’est clairement en train de changer et c’est de plus en plus visible. Je l’ai senti déjà à l’époque de Wax où ça m’est très souvent arrivé qu’il y ait des flûtistes de formation classique qui viennent me voir, afin de connaître mon parcours pour pouvoir jouer dans des contextes musicaux comme ceux-là. Les flûtistes, ayant eu ou pas d’éducation musicale en conservatoire, s’intéressent de plus en plus au jazz, aux musiques actuelles. On peut le remarquer par la fréquentation dans les concerts, dans les master-classes… Les flûtistes classiques sont de plus en plus ouverts et ont de plus en plus envie de communiquer avec des flûtistes qui n’ont pas la même approche qu’eux. En tous cas, moi je le ressens de plus en plus souvent et naturellement. C’est assez chouette, de plus en plus de ponts sont en train de se créer. J’espère que bientôt on ne parlera plus de « flûtistes classiques » et de « flûtistes de jazz »… que les flûtistes, au cours de leur apprentissage auront plus de liberté dans le choix du répertoire qui les touche le plus. Peu importe la musique que l’on joue, du moment que l’on parle de « flûtistes » tout simplement!
Quels sont justement les artistes qui t’ont inspirée et décidée à te tourner vers les musiques actuelles?
J’ai toujours écouté des musiques dites « actuelles », les musiques afro-americaines, les musiques qui mettent la notion de groove au premier plan. Il y a plusieurs références, dont en voici quelques unes : le premier flûtiste à réussir à intégrer la flûte en musiques actuelles est bien sûr Jethro Tull. Il poursuit l’idée de saturation de l’instrument, chose déjà engagée chez des flûtistes de jazz comme Roland Kirk ou Jeremy Steig. Dans un tout autre style, lorsque j’ai entendu (Magic) Malik chez M (Matthieu Chédid), dans le live à l’Olympia par exemple. La façon dont la flûte est jouée et traitée au niveau du son chez Herbaliser. Ou encore chez Bonobo qui orchestre et utilise la flûte. La façon dont il utilise l’élément « loop » dans ses compositions m’a beaucoup influencée. Le dub et le reggae ont aussi une vision de l’instrument qui me plaît beaucoup.
Et il y a aussi Greg Patillo qui a trouvé une bonne manière de faire le lien avec sa technique de flûtebox – beatbox dans la flûte – ce qui lui a permis ensuite, au sein de son trio « Project« , d’aller puiser son répertoire autant dans la musique classique, le jazz, que dans le rock, ou encore le hip-hop, en plus d’apporter un aspect rythmique à la flûte.
Parallèlement à ta carrière en studio et sur scène, tu enseignes la flûte et donne des master-classes. En quoi est-ce important pour toi de transmettre cette pratique?
J’ai commencé à enseigner alors que je n’avais que 18 ans car il fallait bien « manger « pendant que je faisais mes études au conservatoire… mais pour être vraiment honnête avec moi-même et avec vous, je n’avais pas la fibre pédagogique du tout. Je n’avais aucune expérience, j’essayais d’enseigner du mieux que je pouvais avec les connaissances que j’avais mais je n’y croyais pas trop.
Aujourd’hui , les choses ont changé car j’ai déjà beaucoup plus d’expérience et surtout une idée de la pratique de la flûte beaucoup plus précise. Il y a vraiment des visions de l’instrument que j’ai apprises, que je défends aujourd’hui et que j’ai donc eu envie de transmettre. J’ai passé mon Diplôme d’Etat en décembre 2012 en spécialité jazz, et depuis j’interviens dans les conservatoires et différentes écoles ou concours, je participe à des master-classes. On y aborde notamment la pratique de l’improvisation, la culture et le son jazz de l’instrument, l’adaptation de l’instrument à toutes musiques, mais aussi la pratique de la flûtebox, fenêtre ouverte par Greg Patillo en 2005.
ACTUALITE : Ludivine et son groupe Antiloops seront en concert le 24 mai 2014 au Festival Jazz sous les Pommiers de Coutances, et seront invités à la prochaine Convention Internationale de la Flûte, qui se tiendra à Paris en 2016.
Copyright Photos : Fanny Leloup
Café A, Paris
Une réflexion sur “Ludivine Issambourg, Interview”