Tété, Interview

Tété1Alors qu’il a sorti il y a un an, son cinquième album « Nu là-bas », qu’il a intégré cette année l’équipe du Soldat Rose 2 et qu’il vient d’achever sa tournée en groupe, nous  avions rencontré Tété, il y a quelques mois à Montreuil, au Studio Born To Be Com, pour qu’il nous parle de tous ses projets. Tété sera notamment Président d’honneur du Mondial du Tatouage, les 7,8 et 9 mars prochain, à la Grande Halle de la Villette (Paris) avant de repartir sur les routes avec son projet solo. 

J’aimerai revenir sur le titre de ton dernier album qui s’intitule « Nu là-bas »… Qu’est-ce qu’il évoque pour toi?

Je voulais parler des sujets dont je n’avais jamais parlé avant. Je m’étais toujours caché derrière des formules de phrases, l’emploi d’un certain vocabulaire, beaucoup de personnages avec lesquels il était évidemment possible d‘aborder des choses qui me touchaient, mais où il n’était pas question de parler de moi, en tout cas de manière critique, car ça brouillait systématiquement les pistes.

Avant de faire cet album là, j’ai pas mal écrit pour les autres. Et chaque fois que j’écrivais pour quelqu’un, ça commençait comme ça, comme on parle toi et moi. « Parle moi un peu de toi ». Pas « qu’est ce qui te défini ? » parce que c’est un peu une question frontale, surtout quand tu ne connais pas les gens mais plutôt « De quoi tu as envie de parler ? ». Et souvent cette discussion là amène les gens à identifier ce qui est important pour eux, de manière à avoir des chansons qui les racontent vraiment… et en fait, au sortir de ça, je me suis rendu compte que je ne l’avais jamais fait pour moi. Du coup, ce qui est intéressant c’est qu’une fois qu’on commence à prendre ce chemin là, on se rend compte que tous ces sujets – dont personne ne peut faire l’économie – concernent tout le monde, parce qu’on a tous une idée d’ADN,  de ce qui nous constitue. C’est universel et c’est pour cela que je voulais m’engager dans cette voie là, le résultat c’est un peu un « disque-miroir ». Parce que, effectivement lorsqu’on se retrouve devant son miroir le matin, qu’on habite seul, en couple ou en coloc, il y a toujours un moment où tu te retrouves avec Toi.

… et il se trouve où ce « Là-bas » ?

Justement, c’est l’endroit où je n’allais jamais. C’est une espèce de « là-bas » intérieur, finalement.

Il y avait une véritable volonté à te cacher derrière des mots ou c’était inconscient ?

Je crois que c’est les deux. Je crois que la manière que l’on a d’écrire et toujours le prolongement de ce que l’on est et des mécanismes de défense que l’on a mis en place. Et je crois que dans la vie en général, on a toujours tendance à brouiller les cartes pour tenir les choses à distance. Tu le fais donc en écrivant mais sans t’en rendre compte.

Arrive donc cette introspection… et le besoin de te livrer ?

C’est mon cinquième album donc c’est toujours un vrai challenge de se renouveler, de renouveler ce qu’on raconte. C’est toujours délicat comme équilibre. Se renouveler sans se perdre, et s’autoriser des choses. Et puis le fait d’être papa, ça change plein de choses par rapport à ça…

En tant que musicien et depuis le début, mes albums ont toujours été le reflet de ce que j’étais à ce moment là. Mes deux premiers albums, ce que j’en dirais maintenant c’est que c’était des albums de jeunesse – ce que je ne renie absolument pas – mais qui étaient une manière de dire aux filles, pour un jeune provincial comme moi arrivant à Paris, tout ce que je n’osais pas leur dire dans la vie. Une sorte de « Hey, j’existe ! ». Et puis pour  le troisième album, une fois qu’on est en couple, j’imagine que fatalement il y a une partie de soi qui est rassurée. On a envie d’ouvrir les yeux sur le monde, de voir ce qu’il se passe autour de nous et ça a donné le Sacre des Lemmings, album plus social.

J’ai essayé des choses plus poétiques, plus abstraites, plus impressionnistes sur le quatrième album, quand on s’est rencontré. Et la somme de tout cela a donné ce cinquième album. Maintenant tu es papa, tu es quatre albums plus vieux. Il y a une idée de transmission, mais également la prise de conscience que dans les quatre albums – ce qui représente environ 80 chansons – « à chaque fois, je me cache, j’ose pas y aller »…

Mais est-ce que tu ne crains pas lors de la création de ton sixième album, d’avoir le sentiment de t’être encore caché d’une façon ou d’une autre, dans le cinquième ?

…Je l’espère, et je ne l’espère pas, parce qu’en fait je crois vraiment que c’est un album très personnel, bien que tous les sujets que j’aborde soient universels parce que personne ne peut en faire l’économie. Il y a une chanson dans laquelle je parle d’où je viens, la ville où j’ai grandi Saint-Dizier… et on a tous un « Saint-Dizier » que tu viennes de Paris ou d’ailleurs. J’ai eu l’occasion d’en parler une fois avec Gunther Love. Lui il s’est fait tatoué Chelles au-dessus du coude, parce que c’est son ADN. C’est de là qu’il vient. C’est un mec qui voyage dans le monde entier, qui fait plein de trucs et qui invente des mondes tous les jours, mais qui par contre, a eu besoin d’officialiser cela.

Les mues successives que tu peux avoir dans ta vie sont importantes, et je crois qu’à un moment, tu as besoin de partir de ta ville d’origine, de l’oublier, d’arriver dans une grande ville, d’imaginer que tu es quelqu’un d’autre. A un moment, peut-être que le bonheur ou l’idée que l’on se fait d’un certain bonheur, c’est ça. Etre quelqu’un d’autre, ailleurs, loin, demain, avec d’autres personnes… Puis arrive ce moment où tu te dis : « Est-ce que je vais passer toute ma vie à me dire que ce sera mieux demain, plus tard… ou est-ce que ça peut être bien maintenant, avec ce qu’il y a ? ». D’où le côté « disque-miroir ».

Tu parles également de tes origines. En quoi c’était important pour toi de mettre tout cela à plat ?

Je crois que tout cela participe d’une même énergie. Quand dans ta vie tu as toujours tendance à te défausser un peu, tu fais la même chose dans tes chansons et ça créé un malentendu. D’avoir toujours refusé de parler de moi, je crois que ça laisse la place à l’interprétation des différentes choses que tu proposes. Et ayant des origines aussi diverses, il y a des gens qui se disaient « Tiens, il est né à Dakar » et s’imaginaient que j’étais arrivé de Dakar, il y a 2 semaines… D’autres, par rapport à la « Faveur de l’Automne » pensaient que j’étais canadien ou que je vivais au Canada. Et des fois en promo, ça amène à des questions du type « Mais pourquoi tu ne fais pas plus de musique sénégalaise ? »… « Mais je n’y ai jamais vécu ! » … Et après coup, je me suis rendu compte que c’était des choses dont je n’avais jamais parlé.

Ça me fait toujours penser à cette situation lors d’un rendez-vous important – qu’il soit professionnel ou amoureux – lorsque tu dois te préparer. Tu ouvres les tiroirs de ta commode, de ton armoire et les premières fringues qui se présentent ne sont jamais les bonnes. Tu as toujours le sentiment de devoir aller chercher au fond du truc, tu essaies, ça va pas… De la même façon, c’est très difficile de parler de toi quand on te le demande. On a toujours tendance à aller chercher le truc le plus enfoui afin de mieux se cacher, et j’ai l’impression d’avoir fait cela pendant quatre albums. Pourquoi ne pas prendre les premières fringues plutôt que de se « déguiser » en quelqu’un d’autre ?

Parallèlement donc à la sortie de cet album et sa tournée officielle, tu as également fait des concerts privés : MTV Pulse et Les Petits Concerts. Tu donnes des master-classes sur Internet. Tu passes du temps à échanger avec les internautes sur les réseaux sociaux, en co-écrivant notamment les textes d’une chanson… En quoi cette relation de proximité avec le public est-elle importante pour toi ?

Les mecs qui m’ont donné envie de faire ce métier là, c’était des mecs un peu itinérants… Il y a eu la démarche d’un Keziah Jones qui m’a beaucoup marquée : réussir à partir de son milieu avec sa guitare, et aller là où il faut pour faire exister la musique… Je pense à Dylan aussi… Que ce soit dans la rue, dans le métro, dans les bars… Moi j’ai commencé dans les bars parce que je marchais sur les traces de mes héros. Ça restera pour moi l’exemple du type même de concert qui te donne envie de faire ce métier là. Un endroit confiné, avec des gens qui sont à hauteur d’yeux, devant toi… et c’est vrai que je suis toujours revenu à ça.

Faire encore ce métier là, c’est aux gens que je le dois… dans tous les sens du terme. Tu as le public sans lequel tu ne peux pas faire ce métier, mais il y a également les gens qui font vivre les salles. Et puis, il y a ceux qui sont entre les deux, des gens comme toi, qui viennent faire une interview et font résonner notre actualité. C’est grâce à cette fidélité là que je peux continuer. J’aime beaucoup l’idée de pouvoir être en prise directe avec les gens.

La chance que j’ai eu c’est que ça correspond à mes inclinaisons naturelles… J’ai toujours été assez influencé – même si ça ne s’entend pas dans ma musique – par les scènes skateboard, punk rock, où il y avait l’élément « Do it yourself », cette idée de « Tu as envie de défendre une esthétique ? Tu as envie d’aller au bout du truc… Fonde ton propre outil, parce que le truc le plus révolutionnaire, c’est de te réapproprier tes moyens de production »… Et c’est vrai que quand Internet est arrivé, pour un type comme moi, c’était révolutionnaire qu’un outil te permette d’héberger tes vidéos. Quand j’ai commencé à filmer, à faire des journaux de bord, c’était pour les partager avec l’équipe… A l’époque, un peu avant ça, envoyer un montage de mes premières vidéos de 4-5 minutes juste pour dire aux copains « Hé regardez, c’est la vidéo de cette semaine, de notre voyage, etc » c’était pas possible ! Il n’y avait pas de serveur, tu ne pouvais pas les envoyer par mail… Donc dès que c’est arrivé, ça m’a rendu dingue ! Du coup, je suis devenu un peu « geek » et c’est vrai que j’ai toujours eu l’habitude de mettre les mains dans le cambouis…

En tant que chanteur, ça fait quinze ans que je fais ça. Les cinq premières années on demandait aux chanteurs d’être authentique. Il fallait être roots. Ensuite, il fallait être intéressant, sans jamais avoir compris ce que ça voulait dire. Maintenant, il faut être immédiat. Il faut être direct. Et je crois qu’il y a un rapport au temps qui a vachement évolué et Internet est un outil génial par rapport à ça.

TétéA ce propos, tu disais dans une interview que « le luxe aujourd’hui, c’est d’avoir du temps » justement. Quand on voit le nombre de projets que tu mènes simultanément, comment tu expliques cette forme d « hyperactivité » ?

Je crois que je passe mon temps à déplacer la même énergie, partout. Quand j’étais jeune, j’étais à mille lieux de m’imaginer que je pourrais bosser avec un label, un jour. Du coup, quand tu avais écrit une chanson, puis deux, puis trois… tu prenais un bout de papier et tu faisais ta set-list. Et ce papier voulait dire un truc hyper fort pour toi. Quand tu commençais à penser à tes premières affiches et que tu les faisais, avec ton budget, tu allais en imprimer 200 et c’était pourri, en noir & blanc, mais à chaque fois, c’était un truc de dingue dans ta vie. Et il n’y a rien qui peut remplacer cette adrénaline là. A un moment, après avoir bossé un peu trop tout seul, j’ai appris à bosser avec des gens. Et je trouve génial d’avoir compris la valeur que ça a, quand tu as des gens qui acceptent de fédérer leurs valeurs, leurs talents, leur énergie et leur temps… J’adore les projets. J’adore parler avec un mec, ou lire un journal et me dire « Tiens, et si… ». Ecrire le truc, le développer.

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Et donc parmi toutes tes collaborations, explique-moi comment tu t’es retrouvé Président d’Honneur du Mondial du Tatouage !

C’est un gros hasard! …Effectivement, je suis fan depuis des années, de tatouages « old school ». Ce sont les tatouages qui viennent des marins, et c’est une tradition où la symbolique prime plus que l’esthétique. Il y a un certain langage codé qui vient du langage des marins. Tu as l’étoile nautique qui est hyper répandue. C’est une étoile à cinq branches qui renvoie à l’Etoile du Nord. Il y a plusieurs centaines d’années, les marins n’avaient que cela pour se repérer. Une fois qu’ils perdaient l’Etoile du Nord, ils dérivaient et mourraient. L’ancre, c’est également un tatouage hyper répandu car sans ancre, le bateau dérive. Et un bateau qui perd le cap, c’est pareil, c’est un bateau qui va finir sur les rochers.

Je les trouve hyper fort symboliquement et j’aime l’idée qu’il y ait des clés de lecture, et que tu puisses résumer les moments forts de ta vie, de cette façon à fleur de peau. Et même si moi, je ne navigue pas, plus je réfléchis et plus je me dis qu’il y a beaucoup plus de similitudes entre le métier de marin et le mien, que ce que je pensais. Les types qui s’engagent dans la Marine, qui épousent cette condition, qui partent à 16-17 ans… Tu rêves d’absolu, tu penses pas au lendemain, tu sais pas combien de temps tu vas faire ça, mais tu ne te poses pas la question non plus… Et dix ans plus tard, tu continues à faire ça. Te retrouver à chaque fois à partir de chez toi. Une fois que tu as ta famille, tu laisses ta famille derrière toi systématiquement, pour partir sur la route… ou en mer. Un marin qui part en mer, il ne sait pas si la pêche va être heureuse ou pas. C’est comme pour le musicien, qui part sur les routes de France à chaque album en espérant que le public sera présent. Et il y a cette idée de voyage au long court…

Pour revenir au Mondial du Tatouage, on y a été en famille, l’édition de l’année précédente. C’était au 104, il y avait 2 heures d’attente, la queue faisait tout le tour du pâté de maisons. Du coup, on a été déjeuner et a on réussi ensuite à entrer. L’organisateur que je ne connaissais pas et venu me voir en me disant que j’aurais pas dû attendre et passer par l’entrée VIP ou invités… Du coup, vu qu’on était en famille, il a été super arrangeant et nous a filé un Pass… Et les jours qui ont suivi, il m’a simplement demandé si je ne voulais pas devenir Président d’honneur… « Evidemment que oui ! »… C’est super. C’est super, parce que c’est une vraie passion, parce que c’est la possibilité d’y être trois jours. C’est la possibilité d’apprendre en voyant des tatoueurs travailler et passer du temps avec des gens qui partagent cette passion.

Retrouvez Tété au Mondial du Tatouage, les 7,8,9 Mars 2014, à Paris et en tournée :  http://www.tete.tt/agenda/

Copyright Photo : Franck Papadopoulos – Studio Born to Be Com

Remerciements : Anne-Sophie Lambell / Ninon Bernard – Cinq7 / Marc Mottin – Derrière les planches

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