De retour à Paris, le flûtiste cubain Orlando « Maraca » Valle est en concert au Sunset / Sunside, les 9 & 10 décembre prochains dans un projet intimiste, en duo avec le pianiste Ramon Valle. L’occasion de revenir sur son actualité… En octobre dernier, Orlando présentait son Maraca & his Latin All Stars lors d’une date unique en France, au sein du prestigieux Théâtre du Châtelet. Quelques jours plus tard, alors qu’il revenait de Rotterdam et retournait à Cuba le lendemain matin, c’est donc à une heure tardive et à la sortie de son train à la Gare du Nord, que nous sommes allés à sa rencontre… Quelques instants plus tard, valises posées et verres de vin commandé, confortablement installés au Baroudeur, l’interview pouvait commencer…
Pour ceux qui ne te connaitraient pas encore, est ce-que Orlando Valle peut nous présenter Maraca ?
Je suis un flûtiste cubain, que l’on surnomme Maraca. C’est un peu curieux parce que le maraca est un instrument de percussions, et c’est également un instrument que je joue aussi, mais je suis flûtiste. Je suis rentré dans le groupe Irakere en 1988. J’étais très jeune. J’ai été intégré en tant que claviériste. On a eu une réunion avec Chucho Valdès durant laquelle je n’ai pas joué. C’était assez théorique et abstrait. Puis les répétitions se sont déroulées avec tout le monde : trompette, trombone, saxophone… Il ne savait pas que j’étais également flûtiste, que je pouvais jouer en tant que soliste et quand il l’a su, ça l’a intéressé que je joue de la flûte. Donc finalement, pendant 6 ans, j’ai joué de la flûte et des claviers au sein d’Irakere.
Tu étais en concert au Châtelet en octobre dernier, avec ta formation « Latin Jazz All Stars ». Parle-nous de ce projet.
A l’origine c’était une demande de Verve Polygram aux Etats-Unis, qui voulait faire un disque de musiques cubaines. Mais lorsque j’ai reçu cette proposition, on n’a pas pu la réaliser à cause de problèmes politiques entre Cuba et les Etats-Unis. Je n’arrivais pas à rentrer aux Etats-Unis, je n’avais pas les visas… mais celui qui était chef de projet chez Verve-Polygram est allé travailler en tant que programmateur dans un festival aux Etats-Unis, à Monterey (Californie) et il avait toujours dans l’idée de présenter un projet spécial avec Maraca. On lui a donné carte blanche pour le festival et c’est ainsi qu’est né le projet « All Stars » avec un orchestre à cordes. On a donc joué en ouverture du festival, et ça nous a donné envie de continuer. On a fait une tournée dans plusieurs festivals de jazz en Colombie, mais il manquait un enregistrement. J’ai donc pensé faire venir les Américains à Cuba – c’était un projet assez ambitieux – au Théâtre de la Havane, le siège du Palais National de Cuba… Ça a été un spectacle incroyable ! … et de là ou presque, on s’est retrouvé à jouer au Châtelet, avec pour invité le pianiste Gonzalo Rubalcaba (Steve Turre – trombone, shells / Brian Lynch – trompette / Giovanni Hidalgo – percussions / Horacio « El Negro » Hernandez – batterie / Harold Lopez-Nussa – piano / Grégory Privat – claviers / Irving Acao – saxophone / Rafael Paseiro- basse).
Lors de ce concert, j’ai d’ailleurs pu remarquer qu’à l’instar des saxophonistes qui alternent souvent plusieurs saxophones, tu joues de toutes les flûtes : Flûte en ut, alto mais aussi du piccolo. C’est donc important pour toi de couvrir tous les registres de la flûte ?
Il y a beaucoup de saxophonistes qui jouent de la flûte, et certains de mes amis flûtistes jouent du saxo. Moi-même j’ai joué du saxophone baryton… durant 6 mois seulement. Chaque instrument exige un concept spécifique. On peut jouer un peu n’importe comment ! Mais entrer dans l’instrument c’est différent.
J’ai préféré véritablement me spécialiser dans la flûte. Je me suis toujours senti investi dans ce rôle de défendre la flûte tout terrain, quelque soit le contexte, par rapport aux autres instruments… et je considère avoir un petit peu gagner la bataille, parce que voilà, je suis encore là dans cette jungle !
Justement en parlant de famille de flûtes, on vient de m’offrir une flûte basse que je voulais inaugurer pour le concert, mais elle pesait trop lourd. Je commence à l’étudier car je n’en ai jamais joué, c’est encore un animal sauvage pour moi !
Alors oui c’est important, mais le fait d’avoir joué des percussions et des claviers est tout aussi important. J’ai eu l’occasion et la chance de jouer avec les plus grands pianistes : Chucho Valdes, Frank Emilio qui est un pianiste traditionnel cubain de danzon, Guillermo et Gonzalo Rubalcaba, Michel Camillo, Chick Corea, Danilo Perez… ce sont des gens que j’ai côtoyé plus ou moins près, et il y a surtout eu Emiliano Salvador qui était un génie du piano cubain. Donc à côté d’Emiliano ou de Chucho, j’écoutais, j’observais la façon dont ils faisaient les accords, et j’ai appris beaucoup de leurs secrets. Un autre élément important qui a influencé mon son et mon jeu, c’est d’avoir côtoyé de grands percussionnistes : Mongo Santamaria, Changuito, Anga Diaz… Tout cela a fait des allers et retours dans ma tête. En fait, j’ai beaucoup d’influences à la flûte de par l’instrument même, mais également de par une multitude d’éléments que j’ai pris d’autres instruments.
Mais quelle est la place de la flûte dans la musique cubaine ? Est-ce qu’il y a une école cubaine de flûte traversière à l’instar de l’école française de flûte ?
Il y a effectivement une flûte traditionnelle cubaine, qui a elle-même hérité de la musique classique française justement, de la danse et de la contredanse. Elle a ensuite évolué jusqu’au danzon, genre populaire. Au début dans les danzons, il n’y avait pas de flûte puis elle s’est imposée et est devenue indispensable. Cette flûte était française, c’était une Buffet-Crampon ancienne, à 5 clés. Et du danzon est né le chachacha, la salsa… Il y a donc une véritable histoire de la flûte cubaine. D’ailleurs, le flûtiste Alberto Socarras qui a été le tout premier à enregistrer un album en jazz en 1927-1928, est cubain !
Il y a eu toute une évolution du rôle de la flûte, de par ses caractéristiques et auprès des compositeurs. Souvent les flûtistes de la musique populaire cubaine étaient également compositeurs et directeurs, ce qui leur a permis d’imposer leur son plus facilement et de donner une véritable place à la flûte. Il y a même le flûtiste Roberto Ondina qui a impressionné Stravinsky, lors de sa venue… Tous les orchestres des années 40 avaient des flûtistes comme leaders. On peut citer notamment l’Orquesta Aragon et Richar Egües qui a littéralement révolutionné la flûte… Mais c’est vrai que la flûte, bien qu’étant devenue très virtuose, est vite restée dans l’enceinte de la musique cubaine populaire.
J’aimerais que l’on parle de ta venue à la Convention de la flûte à la Nouvelle-Orléans.
C’est la première fois que j’étais invité à cette Convention. Pour moi c’est une reconnaissance. J’ai participé au Gala d’ouverture en tant qu’invité spécial « special guest » et là, j’ai pu jouer avec le flûtiste que je considère comme le plus important. Celui pour qui je joue de la flûte. Mon père spirituel. Celui dont je connaissais la musique avant même de le rencontrer personnellement… Je parle de Hubert Laws.
On s’était déjà connu lors d’une fête à Los Angeles mais on n’avait encore jamais joué en public, ensemble. Il y avait également le flûtiste américain Jim Walker. Je le connaissais parce qu’à Cuba dans les années 80, il y avait des émissions de radio durant lesquelles on entendait sa musique, un des premiers à faire un mélange de classique et de jazz. Il jouait des versions jazz de Paganini, de la Badinerie de Bach…
Il y avait vraiment des flûtistes venus de partout dans le monde et j’y ai également fait la connaissance de la flûtiste française Sophie Cherrier. J’ai joué plusieurs fois, fait une master-class de jazz et le dernier jour, j’ai essayé beaucoup de flûtes qui étaient exposées.
L’une des conséquences directes de cette convention est que j’ai signé un contrat d’ « endorsement » avec la compagnie américaine Gemeinhardt, qui m’a ensuite invitée aux Etats-Unis, pour visiter leur usine.
Ils vont faire fabriquer une série de flûtes à mon nom. Ça m’a beaucoup ému parce que c’est la première fois que je voyais comment étaient fabriquées les flûtes. Et quand j’étais au milieu de cette usine, j’ai compris tout le travail que ça représentait. Par réciprocité, j’ai donc fait un mini-concert en l’honneur des travailleurs de l’usine. Ça a vraiment été une expérience humaine formidable !
Quelles sont donc les spécificités de cette série de flûtes ?
Ils vont créer 2 lignes, une ligne pour étudiants et une pour professionnels. C’est vrai que parce que je joue beaucoup de styles différents, il me faut une flûte qui couvre toutes ces possibilités. Pendant les 3 jours où j’étais à l’usine, on a parlé avec les techniciens et on a beaucoup échangé sur les caractéristiques que devait avoir la flûte. Ils m’ont donc demandé ma flûte, la vice-présidente qui est flûtiste l’a essayée afin de se rendre compte de mes particularités.
Pour conclure, quels sont tes projets en cours?
J’ai des demandes d’ateliers et de master-classes aux Etats-Unis mais aussi dans des conservatoires en France. Je suis entrain d’écrire deux livres – dans lesquels je révèlerai quelques secrets! – et j’ai également pour projet un recueil de retranscriptions de mes solos, car cela m’a beaucoup été demandé. Enfin, parallèlement au « All Stars », j’ai un projet de duo avec mon cousin, dont un concert au Sunset/Sunside à Paris, les 9 et 10 décembre prochains.
Remerciements à Céline Chauveau, manager et traductrice.
Copyright Photos : Arthur de Tassigny
Je suis vraiment content d’avoir lu votre article que je trouve pertinent