Magic Malik, Interview – II/II

(Suite de la Première partie de l’interview)

Quels sont tes artistes ou compositeurs de référence ?

Ravel, Steve Reich, Stravinsky. Je n’aime pas trop les romantiques. Il y a aussi  Schnittke, Berg… En jazz, Roland Kirk, Monk, Coltrane. Je ne suis pas un Parkérien, j’ai beaucoup de respect pour ce que fait Charlie Parker mais ça ne me touche pas… Pat Metheny… Ils sont nombreux ! Et pour ceux eux qui m’ont parfois aidés à mettre mes idées en perspective, il y a Miles (Davis) beaucoup, Morton Feldman, Bach, Steve Coleman… Bo Van Der Werf le saxophoniste du groupe belge Octurn avec lequel on a pas mal travaillé sur des éléments de théorie dans la musique.

Alternate Steps ton dernier album, a été enregistré en 2010. C’était une volonté d’attendre deux ans pour sa sortie ?

En fait, j’ai enregistré deux albums dans la foulée. J’ai fait Short Cuts et Alternate Steps, à un mois d’intervalle. J’allais partir à la Villa et c’était bien que j’ai des albums d’avance. Il y allait avoir des changements dans l’orchestre et je voulais profiter des derniers moments avec mes musiciens. Je savais aussi qu’il y  aurait des changements dans ma musique, du fait que je parte à la Villa Médici. La Villa, c’est une retraite, un moment où on se retrouve face à des contextes internes. Et puis j’ai fait le choix de diviser, même si je n’aime pas ce mot, mes productions musicales entre les compositions dont le matériel vient d’abord d’une idée musicale, et celles qui proviennent d’une idée conceptuelle, où on définit les éléments musicaux à partir de ce que l’on attend d’eux. Ensuite, l’artisanat et l’intuition viennent par-dessus. Ça peut être beaucoup de variations et de déclinaisons du même principe.

En ce moment par exemple, je me demande comment représenter par le dessin, l’expression de quelqu’un, de la façon la plus simple. Alors évidemment quelqu’un qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la répéter, et je répète sûrement plein de choses qui ont été faites, mais en tout cas c’est une expérience que je fais, moi. J’ai d’abord eu une réflexion sur ce que j’allais utiliser, mais ça ne me sert pas ensuite dans la musique. Ça n’a pour but que d’entretenir ma nature qui est d’enlever les choses et de trouver la façon la plus simple pour exprimer les choses. Je suis hyper étonné que dans le résultat, il y ait des choses qui ait de l’expression. Les XP c’est la même chose. Des éléments très simples qui génèrent une certaine richesse. Ça ne m’aide pas mais ça participe de mon processus créatif… J’écris aussi pas mal de textes et de musique que je n’ai jamais publié ou fait jouer. Le seul fait de le faire me satisfait. Ça explique aussi mon rapport bizarre avec le public. Je trouve que l’art c’est avant tout un geste vers « pas-soi ». J’ai toujours du mal à comprendre les artistes qui veulent te montrer leur univers, ça me fait penser à ces enfants qui veulent absolument te montrer leur chambre. Tu vas chez des gens et s’ils ont un enfant, systématiquement il va te demander « Tu veux voir ma chambre ? ».

J’aime bien Klee ou Kandisky parce que je trouve que leur expression artistique est une fenêtre sur quelque chose dont ils sont peut-être eux-mêmes spectateurs. J’aime bien me retrouver dans la position où il y a quelque chose qui m’échappe dans ce que j’ai fait. C’est pour cette raison que je n’ai jamais de doute dans le résultat final, de ce que j’ai fait. Je ne suis pas à me demander si c’est bien ou mauvais, parce que quelque part l’expression artistique n’est pas une surface dans laquelle je me regarde. C’est pour cela que je n’aime pas cette relation bi-latérale ou diptyque avec le public. Dans le jazz la présence de l’autre est vraiment importante, elle participe réellement du processus créatif et de l’œuvre. Alors on pourrait dire que dans la musique écrite aussi puisqu’il faut bien qu’elle soit exécutée, mais elle l’est par rapport à quelque chose de plus fini et abouti.

Qu’elle serait donc pour toi la configuration idéale d’un concert ?

Je crois que l’art n’est pas fait pour les gens. En tout cas dans la position de celui qui fait sa musique, j’ai l’impression qu’on ne fait pas ça pour les gens, mais pour exister tout simplement, pour être manifesté sous une certaine forme. Ces trucs là quand je les regarde (il me montre ses dessins) ça participe de quelque chose de tellement plus entier et profond, que l’interprétation que je vais en faire et de ce que ça va susciter, que je trouve que le regard de l’autre est destructeur par rapport à la création.

Et pourtant, tu m’as spontanément montré tes dessins… Pourquoi ?

Parce que justement c’est ça, on est fait de contradictions ! Peut-être que les choses en ont besoin et que c’est comme cela qu’elles finissent par exister réellement. En s’usant de regard en regard, de culture en culture…

Il y a un besoin, voire un plaisir dans la destruction et l’usure ?

C’est comme ça que l’enveloppe s’en va pour qu’il ne reste que l’essence, que le geste, que le moment que l’artiste a passé à créer. Quand on réfléchit à toutes ces choses qui ne nous parviennent jamais, la création n’est pas l’apanage de l’homme. La nature est sans cesse en train d’inventer, de créer, de jouer… Les formes s’usent, les espèces animales évoluent et pourtant il reste toujours des similitudes entre ce qui disparaît et ce qui vient après. Dans l’acte créateur, je pense que c’est pareil. A chaque fois que je suis fasciné par une œuvre, c’est parce que l’artiste a ouvert une fenêtre pour nous deux. Une fenêtre où on est créateur, tous les deux. Moi, je suis créateur de l’espace que j’ouvre en moi pour que l’œuvre vibre et il me laisse cette responsabilité. Mais je peux aimer à plusieurs niveaux. Je peux aimer quelque chose parce que ça me conforte dans mon côté grégaire, dans mon incarnation. Je vais écouter de la musique en faisant la vaisselle, etc… c’est toute cette musique qui participe de notre réconfort. Par contre, je pense qu’une vraie œuvre d’art, c’est une œuvre qui te place au-delà de ta condition. Tu ressens quelque chose qui ne va pas te ramener à toi-même ou à un souvenir, mais qui va te placer devant un positionnement ou des questionnements qui vont ouvrir sur des incertitudes. Pas forcement vers l’instabilité. Au contraire, ça peut être quelque chose qui te pose.

Quel est ton rapport à ton instrument ? A la musique ?

En fait, cette question n’a pas trop de sens pour moi. Je n’ai pas de relation avec mon instrument. Je connais beaucoup de gens qui ont un univers relationnel avec leurs parents. Moi je n’ai pas de relation avec mes parents. Ce sont mes parents, et petit à petit se sont devenus des gens. C’est beau. Je trouve ça bien d’avoir été très tôt, quelqu’un d’assez autonome. Il n’y a rien entre nous qui va passer sous le prisme de l’analyse relationnelle. Avec ma flûte ou la musique, c’est pareil. C’est juste quelque chose qui fait partie de la façon dont cette vie se manifeste pour moi.

Je trouve que la musique est belle en soi et ça engage parfois en moi des choses tellement mystérieuses… même lorsqu’on passe par le contrôle, il ya des choses qui nous échappent. « Je vais concevoir des XP. Je vais essayer de trouver des objets minimaux qui vont traduire des informations. Quelle est cette information ? Dans quelle musique ? Ok, on parle du système tonal. Pour moi, que représente le système tonal ? Comment je vais me le formuler, de sorte qu’il me corresponde ? Donc minimaliste. Je vais chercher. Je vais trouver des éléments ». Je fais de la musique avec des outils très définis, des contours très nets, des idées très claires. Et parfois, je vais composer la musique comme un horloger. J’aime cette image de l’horloger car c’est le métier que je voulais faire quand j’étais gosse. J’aime quand je fais quelque chose, que je puisse ensuite le regarder comme une montre, comme un petit mécanisme de choses qui ont du sens les unes avec les autres. Que le tout soit cohérent. J’ai beau contrôler tout ça, à la fin je suis toujours surpris… Par le facteur humain, également. La façon dont il intervient dans une aventure musicale. Tous les gens que j’ai croisé, qui font partie des projets… C’est miraculeux de voir qu’il y a quelque chose qui s’exprime envers et contre nous. Je suis de plus en plus fasciné par ça… Je n’ai pas de relation conflictuelle avec ce que je fais. Ça n’a jamais été une source d’angoisse. Des incertitudes oui, des moments de flottements. Mais j’ai confiance en l’art.

Quels sont tes projets ?

Des disques que j’ai en tête. Pour le prochain disque que je suis en train de préparer avec Bee Jazz, j’ai envie de faire quelque chose autour de l’électro avec Gilbert Nouno, DJ Oil, Hubert Motteau, le premier batteur que j’ai eu avec le premier projet du Magic Malik Orchestra, HWI Project. Par-dessus le travail de studio, je vais écrire des choses pour les voix, les cuivres. J’ai envie de faire quelque chose qui se place entre l’électronique, la transe, le jazz et la musique contemporaine. Un truc un peu borderline. J’ai également envie de laisser plus de place et d’initiatives aux gens qui vont participer au projet…

Lors de cette interview, je portais un collier de la créatrice Ennata Auclair – bijoux multiethniques.

Copyright Photos : Olivier Samyde

https://www.facebook.com/magicmalikmagic

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