Magic Malik, Interview – I/II

OSAMYDE_ITW_MagikMalik-2Je dois ma découverte du flûtiste Magic Malik il y a une quinzaine d’années, à mon premier amour. Quelques extraits de City Boom Boom du saxophoniste Julien Lourau, amoureusement copiés sur une K7 que j’ai écoutée en boucle jusqu’à en user la bande, avant de m’en procurer le Cd et quelques autres enregistrements… Que ce soit aux côtés du percussionniste Minino Garay, des chanteurs M ou Camille, du pianiste Tigran Hamasyan ou lors de ses projets personnels, difficile de ne pas être envoûtée par ce grand sorcier aux longues envolées flûtistiques, toujours à la recherche de nouvelles sonorités. J’ai donc souhaité rencontrer l’artiste à l’occasion de la sortie de son album Alternate Steps. Rendez-vous pris au Chaméléon, bar-restaurant non loin de République, où nous avons parlé de flûte, d’intuition, de la Villa Médici…

Est-ce que Malik Mezzadri pourrait nous présenter Magic Malik ?

En fait, non parce que ni l’un ni l’autre ne peut servir à l’introspection de l’un ou de l’autre, car ni l’un ni l’autre ne s’identifie à son nom. Magic Malik c’est un surnom que m’a donné mon premier manager pour des raisons d’accroche. C’est un nom d’artiste.

Mais justement, qui est cet artiste ?

Je ne sais pas qui je suis, je n’en ai aucune idée. A chaque fois que j’essaie de le définir, ça se résume à des choses assez changeantes. J’ai du mal à me cerner. Je sais une chose, c’est que j’aime beaucoup l’expression artistique, à travers la musique en premier lieu parce que je trouve que c’est un des cadeaux les plus fascinants qui ait été fait à l’homme. C’est quelque chose d’unique et de particulier à l’humain, la musique. Elle a à voir avec le son, la vibration qui va au-delà de notre condition humaine. Le son, il existe avant nous et après nous, donc il se manifeste à travers nous d’une façon particulière. En ce moment, ça m’intéresse de savoir comment par la musique, on pourrait arriver à exprimer quelque chose qui pourrait transgresser la condition humaine. De la même façon qu’il y a certains détails qui transgressent le règne par lequel ils expriment… Je me demande à travers la musique s’il n’y a pas un moyen de faire en sorte qu’il y ait quelque chose qui soit lié à nous – l’être social fait d’émotion – et connecté avec quelque chose qui dépasse cela… Mais pour revenir à Magic Malik, je ne saurai rien dire de précis sur lui.

Comment s’est fait le choix de la flûte traversière ? Puis de la flûte dans le jazz ?

J’ai commencé la flûte à 6 ans… c’est un instrument qui m’a été proposé par ma mère. La flûte à bec, puis la flûte traversière. Il se trouve que c’est l’instrument par lequel j’ai été amené à devenir improvisateur et interprète, mais ça aurait pu en être un autre. Pourquoi le jazz ? Parce que c’est une discipline qui place l’interprète dans une posture de compositeur. Je trouvais cela intéressant…

Tu as suivi un cursus classique et été médaillé du Conservatoire de musique de Marseille. L’enseignement « académique » que tu as reçu a été un frein ou au contraire un accélérateur dans ton parcours ?

Ça a été un accélérateur. J’étais à l’âge où tout est décuplé,  17-18 ans avec un mec super qui s’appelle Jean-Louis Beaumadier. Quand j’étais petit, j’ai reçu l’enseignement de la musique comme un cours de poterie… Je n’avais pas du tout cet aspect de l’apprentissage de la musique, comme c’est le cas dans les institutions pédagogiques où c’est vraiment l’école. Il y a un côté hyper scolaire – même si ça n’a pas que des inconvénients – qui éloigne le musicien de quelque chose d’intuitif et ludique. Il faut également avoir conscience que dans la vie de musicien, on peut tout remettre en cause du jour au lendemain. Et je trouve que ces institutions ne favorisent pas ces remises en question, l’introspection… Du coup pour moi, ça a été un accélérateur car j’avais vraiment envie d’apprendre. L’enjeu pour moi n’était pas de passer un diplôme mais de jouer de mieux en mieux des œuvres classiques, d’acquérir une technique, d’exprimer un certain lyrisme, des émotions…

Pour ce qui est de l’intuition par exemple, j’ai tendance à penser qu’elle vient lorsque le corps peut réellement résonner avec le langage qu’on utilise.  Et pour que le corps puisse résonner avec un langage, il faut qu’il l’ait totalement assimilé, de façon vraiment prononcée, pour que l’intuition puisse s’exprimer ensuite de façon magique et naturelle.

Mais maintenant, je ne travaille plus trop la flûte. Je l’ai beaucoup travaillée à un certain moment lorsque je devais assimiler des idées. C’est aussi ça qui est intéressant lorsqu’on est instrumentiste et improvisateur, c’est qu’il y a une incarnation des idées. Il faut les assimiler physiquement. C’est assez rare, il y a peu de domaines où l’on fait ça… Actuellement, je ne la travaille plus, je la joue. Je la déguste sans y mettre d’autres choses que l’envie d’y prendre un certain plaisir.

La flûte traversière est assez peu connue du grand public, en dehors du répertoire classique. Est-ce que tu te considères comme un «ambassadeur » dans le fait de populariser cet instrument ?

Je n’ai pas forcement eu une démarche très popularisante, en tout cas sous mon nom. Je n’ai pas été motivé par autre chose que de trouver des réponses aux questions que je me posais. Après, comme je suis quelqu’un de curieux et de nomade, mon nomadisme s’est exprimé dans mes collaborations. Donc c’est vrai que j’apparais dans des groupes comme Hocus Pocus par exemple, mais je peux être dans des groupes plus hermétiques, où il faut certaines clés pour pouvoir accéder à certaines perceptions.

Tu parles de ta collaboration avec Hocus Pocus. On peut également citer M, Camille, Air entre autres….. Parallèlement, tu intègres l’an dernier la Villa Médici. Que t’apporte cet éclectisme ?

Je pense que ça doit apporter la même chose qu’à une caisse de résonnance qui sait qu’elle peut faire vibrer toutes les cordes qui la forment.  C’est juste un moyen de mettre en vibration et de conforter non pas forcement ce que j’ai de plus divers, mais au contraire ce que j’ai d’unique. Cette multiplication des aventures, me permet de me centrer. Ça n’est pas une dispersion, c’est au contraire la vibration d’un tronc commun.

Ça te permet de mieux te connaître également?

Ça me permet d’entretenir mes articulations au même titre que des exercices, du yoga… Je pense que c’est important de faire plein de choses, en musique et en art tout court. Non pas pour être un spécialiste de tout, mais pour vivre. Ça n’empêche pas qu’il faut être conscient de son tronc commun qui tient le tout. Je ne vais pas chercher quelque chose d’essentiel dans les collaborations. C’est juste du mouvement autour de ce qui est fixe chez moi, et qui s’exprime plutôt dans les projets sous mon nom.

Tu peux nous parler de ton expérience à la Villa Medici et de ta collaboration avec Gilbert Nouno ?

En fait, j’y ai été il n’y a pas longtemps. J’y suis allé jouer avec un compositeur qui s’appelle Francesco Felidei. Tout ça pour dire que cette aventure n’est pas terminée! Tout d’abord, j’ai tenu à rencontrer ceux qui venaient après nous. J’y suis retourné en juin car j’avais une commande à faire pour le Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence. Je trouve que l’aventure est complète que si on se place dans une continuité… donc j’ai un peu connu ceux qui partaient et j’avais envie de connaître ceux qui arrivaient après.

La collaboration avec Gilbert, c’est une longue collaboration. Ça fait dix ans qu’on travaille ensemble mais c’est autour d’un aspect particulier, une certaine partie de ma musique qui s’intéresse à des problèmes formels, qui cohabitent bien avec l’outil informatique. Ça nous intéressait de travailler autour du rôle et de la présence d’un ordinateur en tant qu’interprète et improvisateur, dans un ensemble fait d’humains. L’ordinateur n’est jamais soumis à des habitudes, donc quand il improvise c’est très pur quand il se met à improviser… Il y a une partie de ma musique  qui s’intéresse au minimalisme et l’informatique peut tout à fait s’y prêter.

On est rentré à la Villa autour de ces questionnements sur l’information, l’écriture, l’improvisation, la tradition orale et écrite… mais à vrai dire là-bas, on a chacun travaillé sur nos propres centres d’intérêt.  J’ai beaucoup écrit car je me suis toujours dit qu’à partir de quarante ans, j’aimerai consacrer le reste de mon temps à la musique écrite. D’où un questionnement sur le rôle de l’écriture dans la fabrication, dans la fabrication d’une idée et à quel moment elle est indispensable. J’ai pas mal écrit, j’ai pas mal réfléchi… On va pas dire que j’ai changé, mais il y a eu beaucoup de déplacements. Maintenant mon centre d’intérêt n’est plus vraiment dans le jazz mais vraiment dans le domaine de la musique écrite. J’ai de la chance, j’ai eu plusieurs commandes. Petit à petit, j’ai l’occasion de faire vivre les choses que j’écris et qui appartiennent plus au domaine de la musique contemporaine. Mais c’est intéressant parce que maintenant dans le jazz aussi, je vais dans une direction plus empirique. « Est-ce qu’il y a une vitalité dans ce que je fais ? » Cette vitalité, elle se repose sur le fait de sentir intuitivement que je dis quelque chose de juste, que je suis dans une certaine forme de justesse. Il n’y a plus cette recherche d’enracinement dans des idées formelles, fonctionnelles, esthétiques. Mais même dans la phase de la création, j’essaie toujours de m’assurer que l’intuition prime…

(Suite de l’interview : Cliquez ici )

Crédits Photo : Olivier Samyde

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